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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/563

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C’est au sujet du troisième acte. Nous serions bien fâchés de le jouer comme on le joue au Théâtre-Français. Vous n’avez pas fait attention qu’Aldamon n’est point du tout le confident de Tancrède ; c’est un vieux soldat qui a servi sous lui. Mais Tancrède n’est pas assez imprudent pour lui parler d’abord de sa passion ; il ne laisse échapper son secret que par degrés. D’abord il lui demande simplement où demeure Aménaïde ; et c’est cette simplicité précieuse qui fait ressortir le reste. Il ne s’informe que peu à peu, et par degrés, du mariage. Il ne doit point du tout dire à Aldamon :


Car ta m’as déjà dit que cet audacieux, etc.[1].


Ce vers gâte la scène de toutes façons. Si Aldamon lui a déjà dit cette nouvelle, s’il en est sûr, s’il s’écrie : Il est donc vrai, il doit arriver désespéré ; il ne doit parler que de sa douleur : et le commencement de la scène, qui chez moi fait un très-grand effet, devient très-ridicule.

Ne sentez-vous pas que tout l’artifice de cette scène consiste, de la part de Tancrède, à s’ouvrir par gradation avec Aldamon ? Il s’en faut bien qu’il doive lui dire tout son secret ; et quand il lui dit :


Cher ami, tout mon cœur s’abandonne à ta foi,

(Acte III, scène i.)


remarquez qu’il se donne bien de garde de dire : J’aime Aménaïde. Il le lui fait assez entendre, et cela est bien plus naturel et bien plus piquant. Il ne veut paraître que comme un ancien ami de la maison. Il ferait très-mal d’aller plus loin.


Ce séjour adoré qu’habite Aménaïde


est un vers d’opéra, intolérable.

Concevez donc qu’il ne permet à son amour d’éclater que dans son monologue. C’est là qu’il doit commencer à dire : Aménaïde m’aime. S’il le dit, ou s’il le fait trop entendre auparavant, cela devient froid et absurde.

Le vers d’Aldamon :

Je vais parler de vous, je réponds du succès,

(Acte III, scène i.)
  1. Voyez tome V, page 367.