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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/125

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l’Europe étaient idolâtres. M. de Saint-Foix, gentilhomme breton, célèbre par la charmante comédie de l’Oracle, avait fait un livre[1] très-utile et très-agréable sur plusieurs points curieux de notre histoire de France. La plupart de ces petits dictionnaires ne sont que des extraits des savants ouvrages du siècle passé : celui-ci est d’un homme d’esprit qui a vu et pensé. Mais qu’est-il arrivé ? Sa comédie de l’Oracle et ses recherches sur l’histoire étaient si bonnes que messieurs[2] du Journal chrétien l’ont accusé de n’être pas chrétien. Il est vrai qu’ils ont essuyé un procès criminel, et qu’ils ont été obligés de demander pardon ; mais rien ne rebute ces honnêtes gens.

La France fournissait à l’Europe un Dictionnaire encyclopédique dont l’utilité était reconnue. Une foule d’articles excellents rachetaient bien quelques endroits qui n’étaient pas de main de maître. On le traduisait dans votre langue ; c’était un des plus grands monuments des progrès de l’esprit humain. Un convulsionnaire[3] s’avise d’écrire contre ce vaste dépôt des sciences. Vous ignorez peut-être, monsieur, ce que c’est qu’un convulsionnaire : c’est un de ces énergumènes de la lie du peuple, qui, pour prouver qu’une certaine bulle d’un pape est erronée, vont faire des miracles de grenier en grenier, rôtissant des petites filles sans leur faire de mal, leur donnant des coups de bûche[4] et de fouet pour l’amour de Dieu, et criant contre le pape. Ce monsieur convulsionnaire se croit prédestiné par la grâce de Dieu à détruire l’Encyclopédie ; il accuse, selon l’usage, les auteurs de n’être pas chrétiens ; il fait un inlisible libelle[5] en forme de dénonciation ; il attaque à tort et à travers tout ce qu’il est incapable d’entendre. Ce pauvre homme, s’imaginant que l’article Ame de ce dictionnaire n’a pu être composé que par un homme d’esprit, et n’écoutant que sa juste aversion pour les gens d’esprit, se persuade que cet article doit absolument prouver le matérialisme de son âme ; il dénonce

  1. Voyez tome XX, page 323 ; et XXVI, 128.
  2. Les abbés Dinouart, Joannet, et Trublet.
  3. Abraham-Joseph de Chaumeix, d’abord marchand de vinaigre.
  4. Louis-Adrien Le Paige, mort en 1802 à Paris, sa ville natale, où il exerçait, la profession d’avocat, donna un bon nombre de coups de bûche à sa femme en 1760, deux ou trois jours avant qu’elle accouchât. Le Père Cottu dit que cela ne fit aucun mal à la dame, et qu’elle accoucha heureusement ; mais il est vrai aussi qu’elle en mourut huit jours après. (Cl.)

    — Voyez la Correspondance littéraire de Grimm, 15 avril 1761. — Ce Père Cottu, fils d’un fripier des Halles, est nommé Coutu dans la Relation de la maladie, etc., du jésuite Berthier ; voyez tome XXIV, page 100.

  5. Préjugés légitimes contre l’Encyclopédie ; 1758-1759, quatre volumes in-12.