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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/171

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mais heureusement un bon prêtre[1] vient de prouvera Neufchâtel que l’enfer n’est point du tout éternel ; qu’il est ridicule de penser que Dieu s’occupe, pendant une infinité de siècles, à rôtir un pauvre diable. C’est dommage que ce prêtre soit un huguenot, sans cela ma cause était bonne : je n’aime point ces maudits huguenots. Nous avons eu, depuis peu, un cocu à Genève. Ce cocu, comme vous savez, tira un coup de pistolet à l’amant[2] de sa femme. La petite Église de Calvin, qui fait consister la vertu dans l’usure et dans l’austérité des mœurs, s’est imaginé qu’il n’y avait de cocus dans le monde que parce qu’on jouait la comédie. Ces maroufles s’en sont pris aux jeunes gens de leur ville qui avaient joué sur mon théâtre de Tournay, et ils ont eu l’insolence de leur faire promettre de ne plus jouer avec des Français, qui pourraient corrompre les mœurs de Genève[3].

Vous voyez, monsieur, qu’on est aussi sot à Genève qu’on est fou à Paris ; mais je pardonne à ces barbares, parce qu’il y a chez eux dix ou douze personnes de mérite[4]. Dieu n’en trouva pas cinq dans Sodome : je ne suis pas assez puissant pour faire pleuvoir le feu du ciel sur Genève ; je le suis du moins assez pour avoir beaucoup de plaisir chez moi, au nez de tous ces cagots. J’en aurais bien davantage, monsieur, si vous étiez encore ici : vous y verriez la descendante du grand Corneille, que nous avons adoptée pour fille, Mme Denis et moi. Son caractère paraît aussi aimable que le génie de Corneille est respectable.

Adieu, monsieur ; nous vous regretterons et nous vous aimerons toujours. S’il y a quelqu’un qui pense dans votre pays, faites-lui mes compliments. Mme Denis vous fait les siens bien tendrement.


4427. — À M. LE MARQUIS DE CHAUVELIN.
21 janvier.

Voici, pour Votre Excellence, la négociation la plus importante que vous ayez jamais fait réussir. Le porteur, avec son baragoin, est à la tête d’une troupe d’histrions ; il a le privilège du gouverneur de Bourgogne ; il veut nous donner du plaisir : c’est donc un homme nécessaire à la société. Une autre troupe d’his-

  1. Ferdinand-Olivier Petitpierre.
  2. Le professeur Necker.
  3. Allusion à quelques expressions de la lettre de J.-J. Rousseau à Voltaire du 17 juin 1760, n° 4153.
  4. Genèse, xviii, 32.