Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cet égard ; aucune ne peut exprimer, par exemple, en un seul mot, l’amour fondé sur l’estime, ou sur la beauté seule, ou sur la convenance des caractères, ou sur le besoin d’aimer. Il en est ainsi de toutes les passions, de toutes les qualités de notre âme. Ce que l’on sent le mieux est souvent ce qui manque de terme.

Mais, monsieur, ne croyez pas que nous soyons réduits à l’extrême indigence que vous nous reprochez en tout. Vous faites un catalogue en deux colonnes de votre superflu et de notre pauvreté ; vous mettez d’un côté orgoglio, alterigia, superbia, et de l’autre, orgueil tout seul. Cependant, monsieur, nous avons orgueil, superbe, hauteur, fierté, morgue, élévation, dédain, arrogance, insolence, gloire, gloriole, présomption, outrecuidance[1]. Tous ces mots expriment des nuances différentes, de même que chez vous orgoglio, alterigia, superbia, ne sont pas toujours synonymes.

Vous nous reprochez, dans votre alphabet de nos misères, de n’avoir qu’un mot pour signifier vaillant.

Je sais, monsieur, que votre nation est très-vaillante quand elle veut, et quand on le veut ; l’Allemagne et la France ont eu le bonheur d’avoir à leur service de très-braves et de très-grands officiers italiens.


L’italico valor non è ancor morto.


Mais, si vous avez valente, prode, animoso, nous avons vaillant, valeureux, preux, courageux, intrépide, hardi, animé, audacieux, brave, etc. Ce courage, cette bravoure, ont plusieurs caractères différents, qui ont chacun leurs termes propres. Nous dirions bien que nos généraux sont vaillants, courageux, braves, etc. ; mais nous distinguerions le courage vif et audacieux du général[2] qui emporta, l’épée à la main, tous les ouvrages de Port-Mahon taillés dans le roc vif ; la fermeté constante, réfléchie et adroite, avec laquelle un de nos chefs[3] sauva une garnison entière d’une ruine certaine, et fit une marche de trente lieues à la vue d’une armée ennemie de trente mille combattants.

  1. Mot très-énergique et trop abandonné, est-il dit, entre deux parenthèses, dens le Journal Encyclopédique, 1er février 1761. Voltaire se servait volontiers des mots outrecuidance et outrecuidant, surtout en écrivant à ses amis. Deodati est appelé outrecuidant auteur, dans la lettre 4454.
  2. Le maréchal de Richelieu, en 1756.
  3. Le maréchal de Belle-Isle, en 1742. — Siècle de Louis XV, tome XV.