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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/261

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après l’avoir cherchée toute ma vie. La félicité que je me suis faite redouble par votre commerce. Je recevrai, avec la plus tendre reconnaissance, les instructions que vous voulez bien me promettre sur l’ancienne littérature italienne, et j’en ferai certainement usage dans la nouvelle édition de l’Histoire générale, histoire de l’esprit humain beaucoup plus que des horreurs de la guerre et des fourberies de la politique. Je parlerai des gens de lettres beaucoup plus au long que dans les premières, parce qu’après tout ce sont eux qui ont civilisé le genre humain : l’histoire qu’on appelle civile et religieuse est trop souvent le tableau des sottises et des crimes.

Je fais grand cas du courage avec lequel vous avez osé dire que le Dante était un fou, et son ouvrage un monstre. J’aime encore mieux pourtant dans ce monstre une cinquantaine de vers supérieurs à son siècle que tous les vermisseaux appelés sonetti, qui naissent et meurent à milliers aujourd’hui dans l’Italie, de Milan jusqu’à Otrante.

Algarotti a donc abandonné le triumvirat[1] comme Lépidus : je crois que, dans le fond, il pense comme vous sur le Dante, Il est plaisant que, même sur ces bagatelles, un homme qui pense n’ose dire son sentiment qu’à l’oreille de son ami. Ce monde-ci est une pauvre mascarade. Je conçois à toute force comment on peut dissimuler ses opinions pour devenir cardinal ou pape ; mais je ne conçois guère qu’on se déguise sur le reste. Ce qui me fait aimer l’Angleterre, c’est qu’il n’y a d’hypocrite en aucun genre. J’ai transporté l’Angleterre chez moi, estimant d’ailleurs infiniment les Italiens, et surtout vous, monsieur, dont le génie et le caractère sont faits pour plaire à toutes les nations, et qui mériteriez d’être aussi libre que moi.

Pour le polisson nommé Marini, qui vient de faire imprimer le Dante à Paris, dans la collection des poètes italiens[2], c’est un

  1. Frugoni, Bettinelli, et Alprarotti, composaient ce triumvirat littéraire, en Italie ; mais, dit Ginguené (Biographie universelle, tome IV, page 422), les opinions soutonues dans les Lettres de Virgile « contre les deux grandes lumières de la poésie italienne, et surtout contre le Dante, brouillèrent Bettinelli avec Allgarotti ».
  2. C’est en janvier 1768, ou peut-être à la fin de l’année 1767, que Marcel Prault proposa, par souscription, une Collection des meilleurs auteurs dans la langue italienne. La Divine Comédie en forme les deux premiers volumes, dont le frontispice gravé porte le millésime 1768. Trente-trois volumes de la collection, y compris le vocabulaire, portent la même date. Il est difficile qu’ils aient tous été imprimés la même année. Peut-être les frontispices ont-ils été refaits pour quelques volumes. Ce qui est certain, c’est que dans cette collection, en tête du pre-