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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/288

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des xvie et xviie siècles, s’ils n’ont pas mieux valu que nos maîtres les Italiens.

Mais quelle était la source de cette grossièreté absurde, si universellement répandue en Italie du temps du Tasse ; en France, du temps de Montaigne, de Charron, et du chancelier de L’Hospital ; en Angleterre, dans le siècle de Bacon ? Comment ces hommes de génie ne réformaient-ils pas leurs siècles ? Prenez-vous-en aux collèges qui élevaient la jeunesse, et à l’esprit monacal et théologal qui mettait la dernière main à notre barbarie, que les collèges avaient ébauchée. Un génie tel que le Tasse lisait Virgile, et produisait la Jérusalem ; un Machiavel lisait Térence, et faisait la Mandragore ; mais quel moine, quel docteur lisait Cicéron et Démosthène ? Un malheureux écolier, devenu imbécile pour avoir été forcé pendant quatre ans d’apprendre par cœur Jean Despautère, et ensuite devenu fou pour avoir soutenu une thèse sur l’universel de la part de la chose et de la pensée, et sur les catégories, recevait en public son bonnet et ses lettres de démence, et s’en allait prêcher devant un auditoire dont les trois quarts étaient plus imbéciles que lui, et plus mal élevés.

Le peuple écoutait ces farces théologiques, le cou tendu, les yeux fixes, la bouche ouverte, comme les enfants écoutent des contes de sorciers, et s’en retournait tout contrit. Le même esprit qui le conduisait aux facéties de la Mère sotte le conduisait à ces sermons ; et on y était d’autant plus assidu qu’il n’en coûtait rien. Car mettez un impôt sur les messes, comme on le proposa dans la minorité de Louis XIV, personne n’entendra la messe.

Ce ne fut guère que du temps de Coeffeteau et de Balzac que quelques prédicateurs osèrent parler raisonnablement, mais ennuyeusement ; et enfin Bourdaloue fut le premier en Europe qui eut de l’éloquence en chaire. Je rapporterai encore ici le témoignage de Burnet, évêque de Salisbury, qui dit, dans ses Mémoires, qu’en voyageant en France il fut étonné de ces sermons, et que Bourdaloue réforma les prédicateurs d’Angleterre comme ceux de France.

Bourdaloue fut presque le Corneille de la chaire, comme Massillon en a été depuis le Racine : non que j’égale un art à moitié profane à un ministère presque saint, non que j’égale non plus la difficulté médiocre de faire un bon sermon à la difficulté prodigieuse et inexprimable de faire une bonne tragédie ; mais je dis que Bourdaloue voulut raisonner comme Corneille, et que Massillon s’étudia à être aussi élégant en prose que Racine l’était en vers.