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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/342

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il faudra pourtant qu’ils s’adressent à vous, et que vous les protégiez très-discrètement, sous main, sans vous cacher visiblement.

Je ne saurais finir de dicter cette longue lettre sans vous dire à quel point je suis révolté de l’insolence absurde et avilissante avec laquelle on affecte encore de ne pas distinguer le théâtre de la Foire du théâtre de Corneille, et Gilles de Baron ; cela jette un opprobre odieux sur le seul art qui puisse mettre la France au-dessus des autres nations, sur un art que j’ai cultivé toute ma vie aux dépens de ma fortune et de mon avancement. Cela doit redoubler l’horreur de tout honnête homme pour la superstition et la pédanterie. J’aimerais mieux voir les Français imbéciles et barbares, comme ils l’ont été douze cents ans, que de les voir à demi éclairés. Mon aversion pour Paris est un peu fondée sur ce dégoût. Je me souviens avec horreur qu’il n’y a pas une de mes tragédies qui ne m’ait suscité les plus violents chagrins ; il fallait tout l’empire que vous avez sur moi pour me faire rentrer dans cette détestable carrière. Je n’ai jamais mis mon nom à rien, parce que mettre son nom à la tête d’un ouvrage est ridicule, et on s’obstine à mettre mon nom à tout : c’est encore une de mes peines.

J’ajouterai que je hais si furieusement maître Omer que je ne veux pas me trouver dans la même ville où ce crapaud noir coasse. Voilà mon cœur ouvert à mes anges ; il est peut-être un peu rongé de quelques gouttes de fiel, mais vos bontés y versent mille douceurs.

Encore un mot ; cela ne finira pas si tôt. Permettez que je vous adresse ma réponse à une lettre de M. le duc de Nivernais[1]. L’embarras d’avoir les noms des souscripteurs pour les Œuvres de l’excommunié et infâme P. Corneille ne sera pas une de nos moindres difficultés. Il y en a à tout : ce monde-ci n’est qu’un fagot d’épines.

Vous n’aurez pas aujourd’hui ma lettre au pape, mes divins anges ; on ne peut pas tout faire.

Je vous conjure d’accabler de louanges M. de Courteilles, pour la bonne action qu’il a faite de faire rendre un arrêt qui desséchera nos vilains marais.

Voilà une lettre qui doit terriblement vous ennuyer ; mais j’ai voulu vous dire tout.

Mme Denis et la pupille se joignent à moi.

  1. Voyez la lettre suivante.