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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/416

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assignait, on appointait un temps, un rendez-vous ; celui qui, dans le moment marqué, arrivait au lieu convenu, et qui n’y trouvait pas son prometteur, était desappointé. Nous n’avons aucun mot pour exprimer aujourd’hui cette situation d’un homme qui tient sa parole, et à qui on en manque.

[1]Qu’on arrive aux portes d’une ville fermée, on est, quoi ? Nous n’avons plus de mot pour exprimer cette situation : nous disions autrefois forclos ; ce mot, très-expressif, n’est demeuré qu’au barreau. Les affres de la mort, les angoisses d’un cœur navré, n’ont point été remplacées.

Nous avons renoncé à des expressions absolument nécessaires, dont les Anglais se sont heureusement enrichis. Une rue, un chemin sans issue, s’exprimait si bien par non-passe, impasse, que les Anglais ont imité ! et nous sommes réduits au mot bas et impertinent de cul-de-sac, qui revient si souvent, et qui déshonore la langue française.

Je ne finirais point sur cet article, si je voulais surtout entrer ici dans le détail des phrases heureuses que nous avions prises des Italiens, et que nous avons abandonnées. Ce n’est pas d’ailleurs que notre langue ne soit abondante et énergique ; mais elle pourrait l’être bien davantage. Ce qui nous a ôté une partie de nos richesses, c’est cette multitude de livres frivoles dans lesquels on ne trouve que le style de la conversation, et un vain ramas de phrases usées et d’expressions impropres. C’est cette malheureuse abondance qui nous appauvrit.

Je passe à un article plus important, qui me détermine à commenter jusqu’à Pertharite. C’est que dans ces ruines on trouve des trésors cachés. Qui croirait, par exemple, que le germe de Pyrrhus et d’Andromaque est dans Pertharite ? qui croirait que Racine en ait pris les sentiments, les vers même ? Rien n’est pourtant plus vrai, rien n’est plus palpable. Un Grimoald, dans Corneille, menace une Rodelinde de faire périr son fils au berceau si elle ne l’épouse.


Son sort est en vos mains : aimer ou dédaigner
Le va faire périr, ou le faire régner[2].


Pyrrhus dit précisément, dans la même situation :

  1. Cet alinéa n’était pas dans les deux impressions de 1761, dont j’ai parlé dans la première de mes notes sur cette lettre ; mais il est dans l’impression de 1765. (B.)
  2. Ces vers sont prononcés par Garibalde dans Pertharite, acte III, scène i.