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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/509

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devenir historiographe, instituteur, correcteur, éberneur des Enfants de France, et tout ce qu’il voudra ; et soyez, vous, mais toujours en riant, l’historiographe de ses sottises, l’instituteur de votre nation, et le correcteur des fanatiques.

Je vous remercie de ce que vous m’envoyez de la part de la bonne âme de Montauban ; je l’ai lu avec plaisir, et j’en ferai part aux bonnes âmes de Paris. Je crois cependant que cela aurait encore été plus utile si la bonne âme de Montauban n’avait voulu que rire, et n’avait point voulu se fâcher. Vous voyez, mon cher philosophe, combien j’ai profité de vos leçons : autrefois tout me donnait de l’humeur, depuis la comédie des Philosophes jusqu’au Mémoire de Pompignan, aujourd’hui je verrais Moïse de Montauban premier ministre, et Aaron grand-aumônier[1], que je crois que j’en rirais encore. Je me fierais à la Providence, qui, à la vérité, ne gouverne pas trop bien ce meilleur des mondes possibles, mais qui pourtant fait parfois des actes de justice. Qui aurait dit, par exemple, il y dix ans, aux jésuites, que ces bons pères, qui aiment tant à brûler les autres, verraient bientôt venir leur tour, et que ce serait le Portugal, c’est-à-dire le pays le plus fanatique et le plus ignorant de l’Europe, qui jetterait le premier jésuite au feu ? Ce qu’il y a de très-plaisant, c’est que cette aventure commence à réconcilier les jansénistes avec l’Inquisition, qu’ils haïssaient jusqu’ici mortellement : « En vérité, disent-ils, cet établissement a du bon ; les affaires y sont jugées avec beaucoup plus de maturité et de justice qu’on ne croit en France, et il faut avouer que ce tribunal-là fait fort bien en Portugal. » Ils ont imprimé que Malagrida se souvenait encore, dans l’oisiveté de la prison, de son ancien métier de jésuite ; qu’on l’a surpris quatre fois s’amusant tout seul, pour donner, disait-il, du soulagement à son corps. Notez qu’il a soixante et treize ans ; cela serait en vérité fort beau à cet âge-là ; mais je crois que les jansénistes n’en parlent que par envie.

Laissons brûler Malagrida, et venons à Corneille, qui, selon vous et selon moi, n’est pas si chaud. Si c’est moi qui ai écrit qu’on s’intéresse à Auguste, je n’ai écrit en cela que l’avis de l’Académie, et point du tout le mien ; je ne crois ni avec elle qu’on s’intéresse à Auguste, ni avec vous qu’on s’intéresse à Cinna : je crois qu’on ne s’intéresse à personne, qu’on ne se soucie pas plus d’Auguste, d’Émilie, et de Cinna, que de Maxime et d’Euphorbe, et que cet ouvrage est meilleur à lire qu’à voir jouer. Aussi n’y va-t-il personne.

Oui, en vérité, mon cher maître, notre théâtre est à la glace. Il n’y a, dans la plupart de nos tragédies, ni vérité, ni chaleur, ni action, ni dialogue. Donnez-nous vite votre œuvre de six jours ; mais ne faites pas comme Dieu, et ne vous reposez pas le soptième. Ce n’est point un plat compliment que je prétends vous faire ; mais je ne vous dis que ce que j’ai déjà dit ceny fois à d’autres. Vos pièces seules ont du mouvement et de l’intérêt ; et ce qui vaut bien cela, de la philosophie, non pas de la philosophie froide et parlière, mais de la philosophie en action. Je ne vous demande plus d’écha-

  1. Voyez tome XXIV, page 261.