Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

100,000 francs de la Saint-Jean 1760 à la Saint-Jean 1761. En conscience, je ne puis faire la chose à moins. Que voulez-vous, il m’en restera assez. Mes nièces sont bien pourvues ; nous avons de bonnes maisons, bien meublées, d’assez grosses rentes. Nous naissons tout nus ; on nous enterre avec un méchant drap qui ne vaut pas quatre sous : qu’avons-nous de mieux à faire qu’à nous réjouir dans nos œuvres pendant les deux moments que nous rampons sur ce globe ou globule ? Intérim ride et vale.


4362. — À M. LE BRUN.
Aux Délices, 9 décembre.

Les dernières lettres, monsieur, que j’ai eu l’honneur de recevoir de vous augmentent la satisfaction que j’ai de pouvoir être utile à l’unique héritière du grand nom de Corneille. J’ai relu avec un nouveau plaisir votre Ode, que vous avez fait imprimer. Ma Réponse à vos Lettres ne méritait certainement pas de paraître à la suite de votre Ode. Les lettres qu’on écrit avec simplicité, qui partent du cœur, et auxquelles l’ostentation ne peut avoir part, ne sont pas faites pour le public. Ce n’est pas pour lui qu’on fait le bien, car souvent il le tourne en ridicule. La basse littérature cherche toujours à tout empoisonner ; elle ne vit que de ce métier. Il est triste que votre libraire Duchêne ait mis le titre de Genève à votre Ode[1], à votre lettre, et à ma réponse ; il semblerait que j’ai eu le ridicule de faire moi-même imprimer ma lettre. Vous savez que quand la main droite fait quelque bonne œuvre[2], il ne faut pas qu’elle le dise à la main gauche.

Je vous supplie très-instamment de faire ôter ce titre de Genève. Votre Ode doit être imprimée hautement à Paris ; c’est dans l’endroit où vous avez vaincu que vous devez chanter le Te Deum.

On n’imprime que trop à Paris sous le titre de Genève. On croit que j’habite cette ville, on se trompe beaucoup : je ne dois d’ailleurs habiter que mes terres ; elles sont en France, et le séjour doit m’en être d’autant plus agréable que le roi a daigné les gratifier des plus grands privilèges. Ma mauvaise santé m’a forcé de vivre dans le voisinage de M. Tronchin. Mon goût et mon âge me font aimer la campagne ; et ma reconnaissance pour Sa Majesté, qui m’a comblé de bienfaits, me rend encore plus chère

  1. Voyez tome XXIV, page 159.
  2. Matthieu, vi, 3.