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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/103

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20 avril.

Je n’ai rien écrit hier 19, parce que j’avais une fièvre violente. Nous sommes accablés de contre-temps dans notre tripot. Un oncle d’un acteur s’est avisé de mourir ; nous voilà tout dérangés. Notre spectacle se démanche comme le vôtre : vous perdez Grandval[1] ; on dit que Mlle Dumesnil va se retirer[2] ; il faut que tout finisse. Le théâtre de France avait de la réputation dans l’Europe, et c’était presque le seul de nos beaux-arts qui fût estimé ; il va tomber. On dit que M. le maréchal de Richelieu n’aura pas eu peu de part à cette révolution.

Je suis fâché que les autres comédiens, nommés jésuites, tombent aussi. C’est une grande perte pour mes menus plaisirs. Les universités, jointes au parlement, vont établir un terrible pédantisme. Je n’aime pas les mœurs pédantes.

Nous devions jouer aujourd’hui Cassandre-Olympie et le Français à Londres[3]. Figurez-vous que milord Craff était joué par un Anglais qui s’appelle Craff ; mais, comme je vous l’ai dit, un maudit oncle nous dérange. Tout ce que nous pourrons faire, ce sera de répéter devant Lekain en habits pontificaux, afin qu’il juge. En attendant qu’on joue, il faut que je vous dise que je sais un gré infini à Collé d’avoir mis Henri IV sur le théâtre[4]. Son nom seul attirera tout Paris pendant six mois, et l’Opéra-Comique trouvera à qui parler.

Voici la nuit ; on va jouer Cassandre et le Français à Londres, malgré tous les contre-temps : je vais juger.

Parlons d’abord de milord Houzey. Il est si plaisant de voir un Anglais du même nom jouer ce rôle que j’en ris encore, quoique je sois bien malade. Pour Cassandre, le porteur vous pourra dire si cela fait un beau spectacle, s’il y a de l’intérêt, si la fin est terrible, et si tout n’est pas hors du train ordinaire, depuis le commencement jusqu’à la fin. Je voulais lui donner la pièce pour vous l’apporter ; mais j’ai senti à la représentation qu’il y avait plus d’une nuance à donner encore au tableau. Tout ce que

  1. Grandval (voyez tome XXII, page 69) se retira en effet du théâtre en 1762, mais il y rentra en 1764, et se retira définitivement en 1768 ; il est mort en 1784.
  2. Mlle Dumesnil ne se retira qu’en 1775 ; voyez tome XXXVI, page 218.
  3. Comédie de Boissy, jouée en 1727.
  4. Le 6 janvier 1763 on avait donné à Bagnolet, sur le théâtre du duc d’Orléans, une représentation de la Partie de chasse de Henri IV, comédie de Collé, qui fut imprimée dès 1766, mais dont on ne permit pas la représentation sur les théâtres publics tant que régna Louis XV.