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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/105

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4886. — À M. DU CLOS.
À Ferney, 23 avril.

Il faut vous avouer, monsieur, que le théâtre de Ferney a fait un peu de tort à nos commentaires, et que nous avons, pendant quelques jours, abandonné Corneille pour Lekain. Nous avons fait de Mlle Corneille une assez bonne actrice, au lieu de travailler à l’édition de son oncle. Le commentateur, les libraires, la nièce de Corneille, la nièce du commentateur, tout cela a joué la comédie. Cela n’a pas pourtant interrompu notre entreprise ; mais il y a eu du relâchement. Une autre raison encore qui a arrêté le cours de mes consultations, c’est que je me suis mis à traduire l’Hèraclius espagnol, imprimé à Madrid en 1643, sous ce titre : La Famosa Comedia : En esta vida todo es verdad, y todo es mentira : Fiesta que se représento à sus Magestades, en el salon Real del palacio. Le savant[1] qui m’a déterré cette édition, prodigieusement rare, prétend que sus Magestades veut dire Philippe et Élisabeth, fille de Henri IV, qui aimait passionnément la comédie, et qui y menait son grave mari. Elle s’en repentit, car Philippe IV devint amoureux d’une comédienne[2], et en eut don Juan d’Autriche. Il devint dévot, et n’alla plus au spectacle après la mort d’Élisabeth. Or Élisabeth mourut en 1644, et mon savant prétend que la Famosa Comedia, jouée en 1640, fut imprimée en 1643 ; mais comme mon exemplaire est sans date, il faut en croire mon savant sur sa parole. Le fait est que cette tragédie est à faire mourir de rire d’un bout à l’autre ; les Mille et une Nuits sont beaucoup moins merveilleuses. Si quelque chose dans le monde a jamais eu l’air original, c’est assurément cette extravagance, dont aucun roman n’approche. Il suffit d’en lire deux pages pour être convaincu que l’auteur a tout pris dans sa tête. Je la ferai imprimer, afin qu’on puisse aisément apercevoir la petite différence qui se trouve entre notre Héraclius et la Comedia famosa.

Je dois vous donner avis que le premier volume, contenant seulement Médée et le Cid, est déjà si énorme que je serai obligé de rejeter à la fin du dernier tome la Vie de l’auteur, et les anecdotes et réflexions que je mettrai dans mon Épître dédicatoire à l’Académie. L’épître ne pourra plus contenir qu’un simple témoi-

  1. Mayans y Siscar ; voyez lettre 4931.
  2. Nommée Marie Calderona.