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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/111

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jésuites, comme il ne s’en pressa pas du temps de l’assassinat de Henri IV, et qui en attendant fait rouer des innocents, ressemble, s’il est permis de rire en matière si triste, à ce capitaine suisse qui faisait enterrer les blessés pour morts, et qui s’écriait sur leurs plaintes : « Bon ! bon ! si on voulait en croire tous ces gens-là, il n’y en aurait pas un de mort. »

Écrasez l’inf…, me répétez-vous sans cesse : eh ! mon Dieu ! laissez-la se précipiter elle-même ; elle y court plus vite que vous ne pensez. Savez-vous ce que dit Astruc ? « Ce ne sont point les jansénistes qui tuent les jésuites, c’est l’Encyclopédie, mordieu, c’est l’Encyclopédie. » Il pourrait bien en être quelque chose, et ce maroufle d’Astruc[1] est comme Pasquin, il parle quelquefois d’assez bon sens[2]. Pour moi, qui vois tout en ce moment couleur de rose, je vois d’ici les jansénistes mourant l’année prochaine de leur belle mort, après avoir fait périr cette année-ci les jésuites de mort violente, la tolérance s’établir, les protestants rappelés, les prêtres mariés, la confession abolie, et l’infâme écrasée sans qu’on s’en aperçoive.

À propos, vous ne me parlez plus de votre ancien disciple[3], qui doit offrir une si belle chandelle à Dieu, et dire un si beau De profundis pour la czarine. Que dites-vous de sa position actuelle ? je ne doute point qu’il n’ait déjà fait des vers pour le czar ; assurément la chose en vaut bien la peine. Quant à moi, le papier m’avertit de finir ma prose, en vous embrassant mille fois[4].


4891. — À M. DEBRUS[5].
Aux Délices, à midi.

Plus je réfléchis, monsieur, sur l’épouvantable destinée des Calas, plus mon esprit est étonné et plus mon cœur saigne. Je vois évidemment que l’affaire traînera à Paris, et qu’elle s’évanouira dans les délais. Le chancelier est vieux[6]. La cour est toujours bien tiède sur les malheurs des particuliers. Il faut de puissants ressorts pour émouvoir les hommes, occupés de leurs propres intérêts. Nous sommes perdus si l’infortunée veuve n’est

  1. Jean Astruc, mort en 1765, n’est pas loué dans la Correspondance de Grimm, mai 1765. (B.)
  2. Piron a dit dans la Métromanie, acte II, scène viii ;

    Le bon sens du maraud quelquefois m’épouvante.

  3. Le roi de Prusse.
  4. Une lettre de La Chalotais (L.-René de Caradeuc de), procureur général au parlement de Bretagne, adressée à Voltaire le 4 mai 1762, est signalée dans un catalogue d’autographes avec cette mention : « Très-belle lettre d’envoi de son ouvrage contre les constitutions des jésuites et le fanatisme qu’elles renferment, et contre la barbarie de l’éducation française. »
  5. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe.
  6. Guillaume II de Lamoignon, chancelier de France depuis 1750, était né en 1683 ; il avait donc, en 1762, soixante-dix-neuf ans.