Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’apprends que, pendant ma maladie, on a loué assez indiscrètement un simple appartement à Genève pour Mme la duchesse d’Enville et sa compagnie, à raison de 4,800 livres pour trois mois, sans compter les écuries, les remises et les chambres pour les principaux domestiques, qu’il faudra encore louer très-cher. Ajoutez à cela qu’à Genève toutes les commodités, toutes les choses de recherche se vendent au poids de l’or ; qu’il faut faire cent vingt-cinq lieues pour arriver, et cent vingt-cinq pour s’en retourner ; et qu’une malade qui a la force de faire deux cent cinquante lieues n’est pas excessivement malade. Le paysage est charmant, je l’avoue ; il n’y a rien de si agréable dans la nature ; mais nous avons des ouragans, formés dans des montagnes couvertes de neiges éternelles, qui viennent contrister la nature dans ses plus beaux jours, et qui n’ont pas peu contribué à me mettre dans le bel état où je suis. Ces vents cruels font beaucoup plus de mal que Tronchin ne peut faire de bien.

Adieu, mes divins anges ; je n’ai plus ni voix pour dicter, ni main pour écrire, ni tête pour penser ; mais j’espère que tout cela reviendra.

Je crois ne pouvoir mieux remercier Dieu de mon retour à la vie qu’en vous envoyant cet ouvrage édifiant[1]. On devrait bien l’imprimer à Paris.


4893. — À M. LE CARDINAL DE BERNIS.
Aux Délices, le 15 mai.

J’étais à la mort, monseigneur, quand Votre Éminence eut la bonté de me donner part de la perte cruelle que vous avez faite[2]. Je reprends toute ma sensibilité pour vous et pour tout ce qui vous touche, en revenant un peu à la vie. Je vois quelle a dû être votre affliction ; je la partage ; je voudrais avoir la force de me transporter auprès de vous pour chercher à vous consoler.

Tronchin et la nature m’ont guéri d’une inflammation de poitrine et d’une fièvre continue ; mais je suis toujours dans la plus grande faiblesse.

J’ai la passion de vous voir avant ma mort ; faudra-t-il que ce soit une passion malheureuse ? Je vous avais supplié de vouloir bien vous faire informer de l’horrible aventure des Calas : M. le maréchal de Richelieu n’a pu avoir aucun éclaircissement

  1. Extrait des sentiments de Jean Meslier ; voyez tome XXIV, page 293.
  2. De la comtesse de Narbonne-Pelet, sa nièce.