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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/146

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Thieriot m’apprend que Crébillon n’est pas mort ; il l’était dans les gazettes. On a défendu à Genève les livres de Jean-Jacques. Je ne sais ce qu’on en fait à Paris. J’ai eu son Éducation. C’est un fatras d’une sotte nourrice en quatre tomes, avec une quarantaine de pages contre le christianisme, des plus hardies qu’on ait jamais écrites ; et par une inconséquence digne de cette tête sans cervelle et de ce Diogène sans cœur, il dit autant d’injures aux philosophes qu’à Jésus-Christ ; mais les philosophes seront plus indulgents que les prêtres.

J’embrasse mon frère cordialement.


4931. — À M. MAYANS Y SISCAR[1],
ancien bibliothécaire du roi d’espagne, à valence.
Aux Délices, 15 juin.

Monsieur, je ne vous écris point en chaldéen, parce que je ne le sais pas ; ni en latin, quoique je ne l’aie pas oublié ; ni en espagnol, quoique je l’aie appris pour vous plaire ; mais en français, que vous entendez très-bien, parce que je suis obligé de dicter ma lettre, étant très-malade.

J’ai renoncé à la cour comme vous ; ne m’appelez plus aulicus. Mais vous êtes trop generosus, de toutes les façons, puisque vous avez la générosité de me fournir les instructions que je vous ai demandées. Je ne savais pas que vos auteurs eussent jamais rien pris, même des Italiens ; je les croyais autochthones en fait de littérature ; mais je sais bien qu’ils n’ont jamais rien pris de nous, et que nous avons beaucoup pris d’eux.

Entre nous, je pense que Corneille a puisé tout le sujet d’Héraclius dans Calderon. Ce Calderon me paraît une tête si chaude (sauf respect), si extravagante, et quelquefois si sublime, qu’il est impossible que ce ne soit pas la nature pure. Corneille a mis dans les règles ce que l’autre avait inventé hors des règles. Le point important est de savoir en quelle année la Famosa Comedia fut jouée devant ambas Magestades ; c’est ce que je vous ai demandé, et je vois qu’il est impossible de le savoir.

Je ne sais pas pourquoi vous vous êtes donné la peine de transcrire les vers de Lope de Vega, que vous avez autrefois rapportés dans la Vie de Cervantes ; vous imaginez-vous donc que je ne vous aie pas lu ? Sachez, monsieur, que je vous ai lu

  1. Grégoire Mayans y Siscar, savant espagnol, né en 1697, mort le 21 décembre 1781.