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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/172

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France, a été tué dans la dernière affaire ; c’est le seul officier de son grade qui ait péri. Ce second malheur a rouvert les plaies du premier. Mon courage est exercé depuis longtemps, il faut espérer que j’en aurai moins besoin à l’avenir. J’ai trouvé votre tragédie si fort changée en bien que je ne l’ai presque pas reconnue. Le rôle de Statira est admirable et bien soutenu ; il ne s’agit que de jeter une nuance de fierté dans les discours qu’elle tient à Antigone. Celui du grand prêtre est, dans son genre, tout aussi beau. Je voudrais bien que nos archevêques parlassent avec cette dignité, cette force, et cette modération. Le rôle d’Olympie est plus noble qu’il n’était, et plus intéressant ; Cassandre lui-même m’a paru plus digne de vous. J’ai été ému, j’ai pleuré, et mon esprit a été perpétuellement rempli d’idées nobles, de sentiments douloureux et tendres ; en un mot, je crois qu’il s’en faut bien peu que ce ne soit une des plus belles de vos pièces. J’ai dicté à chaque acte quelques réflexions[1] dont vous ferez sûrement bon usage. Je ne connais pas de docilité plus grande que la vôtre, ni de talent plus rare. Il y a quelques rimes faibles que vous ferez bien de laisser, s’il vous en coûtait trop pour les changer. Il faut toujours jeter quelques petits os à ronger à ses ennemis.

Me voilà revenu chez moi. Je n’y ai point bâti, mais j’ai réparé toutes les vieilleries de l’abbé de Pomponne[2]. Je n’ai pas le logement d’un fermier général, mais une assez jolie gentilhommière. Les cardinaux de Lorraine, d’Este, et de Mazarin, s’en sont bien contentés. Je suis et dois être moins difficile. Je n’ai point de bibliothèque, mais un simple cabinet de livres que je lis ou que je consulte. Je n’aime point ce qui est plus de représentation que d’usage. Je plante beaucoup d’arbres ; j’arrose mes prairies ; je soigne beaucoup mes potagers, qui sont devenus mes nourrices, depuis que je ne mange plus de viande. Voilà le fond de mes occupations. J’ai quelques amis qui viennent me voir ; tous sont estimables, et plusieurs sont aimables. Vous voyez qu’il en est de plus malheureux. Écrivez-moi de temps en temps ; une lettre de vous embellit toute la journée, et je connais le prix d’un jour. Adieu, mon cher confrère ; vivez aussi longtemps que Crébillon ; je suis bien sûr que vos ouvrages dureront plus que les siens, quoiqu’il ait mérité une place honorable parmi nos auteurs tragiques. Ce que je vous demande de préférence à tout, c’est de m’écrire quand vous serez de bonne humeur. J’ai éprouvé que votre gaieté m’est plus salutaire que le bon régime que j’observe.


Observations du cardinal de Bernis sur la tragédie d’Olympie.

acte I, Scène ii.

Comme il est essentiel de diminuer l’horreur du meurtre de Statira, il paraît nécessaire qu’Antigone s’étende un peu davantage sur l’entreprise de Statira contre Antipatre, en sorte que le lecteur ou le spectateur comprenne

  1. Elles sont à la suite de cette lettre.
  2. Qui avait possédé avant lui l’abbaye de Saint-Médard. (Note de Bourgoing.)