Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/183

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se contente donc pas d’avoir persécuté les mourants, il en veut encore aux morts ! Mais il paraît qu’il se brouille toujours avec les vivants. Au reste, qu’on ait mis ou non le curé de Saint-Jean-de-Latran au séminaire, en tout cas voici ce qu’un tolérant écrit sur cette matière :

« Il paraît bien injuste de refuser des De profundis à Crébillon, tandis que toutes ses pièces en méritent, hors Rhadamiste ; et l’on ne voit pas en quoi a péché ce pauvre curé quand il a fait un service pour l’âme poétique de M. de Crébillon. En effet, quoique cet auteur ait traité le sujet d’Atrée, il était chrétien, et son Rhadamiste durera peut-être aussi longtemps que les mandements de monsieur l’archevêque. Si le curé a été suspendu pour avoir fait ce service aux dépens des comédiens du roi, le service n’est-il pas toujours fort bon ? et l’argent des comédiens n’a-t-il pas de cours ? Il faudrait donc excommunier monsieur l’archevêque pour recevoir tous les ans environ trois cent mille livres que lui fournissent les spectacles de Paris, et qui sont le plus fort revenu de l’Hôtel-Dieu.

« L’abbé Grizel, qui sait ce que vaut l’argent, et à quoi il faut l’employer, vous dira que le prélat risque beaucoup : car, si les comédiens fermaient leurs spectacles, l’Église serait privée d’un secours considérable. Il est vrai qu’on peut persuader aux comédiens de continuer toujours à jouer, malgré la persécution, parce que la crainte d’une excommunication injuste ne doit empêcher personne de faire son devoir[1] ; mais cette proposition ayant été condamnée par les frères jésuites et par le pape, il se pourrait bien faire qu’on manquât de spectacles à Paris, dans la crainte d’être excommunié par monsieur l’archevêque.

« Si un Turc vient en cette ville, comme en effet un fils[2] circoncis de M. le bacha de Bonneval y viendra dans quelque temps ; s’il fait célébrer un service pour l’âme de quelque chrétien de sa maison, son argent sera reçu sans difficulté ; et tandis qu’il criera Allah ! Allah ! on chantera des De profundis.

    nie parce que Saint-Jean-de Latran, ayant le titre de commanderie de Malte, se trouvait hors de la juridiction de l’archevêque ; mais, sur ses plaintes à l’ambassadeur de l’ordre, ce dernier craignit de voir les privilèges de l’ordre retirés, et il fut convenu que, quoique soustrait à l’ordinaire, le curé, qui était F.-R. Huot, serait puni pour avoir communiqué avec des excommuniés et causé du scandale. Ce curé fut donc condamné à trois mois de séminaire et deux cents francs d’amende envers les pauvres. (B.)

  1. C’est une des propositions condamnées par la bulle Unigenitus.
  2. Soliman-Aga, auparavant comte de Latour, qui succéda à son père dans la charge de topigi-bachi.