Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/216

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tégez. Je m’intéresse vivement à vos succès et à vos plaisirs. Conservez-moi vos bontés ; vous savez combien elles me sont chères, et combien je vous respecte.


5003. — À M. HELVÉTIUS.
13 auguste.

J’ai lu deux fois votre lettre, mon cher philosophe, avec une extrême sensibilité ; c’est ma destinée de relire ce que vous écrivez. Mandez-moi, je vous prie, le nom du libraire qui a imprimé votre ouvrage en anglais, et comment il est intitulé : car le mot esprit, qui est équivoque chez nous, et qui peut signifier l’âme, l’entendement, n’a pas ce sens louche dans la langue anglaise. Wit signifie esprit dans le sens où nous disons avoir de l’esprit, et understanding signifie esprit dans le sens que vous l’entendez.

Certainement votre livre ne vous eût point attiré d’ennemis en Angleterre ; il n’y a ni fanatiques ni hypocrites dans ce pays-là ; les Anglais n’ont que des philosophes qui nous instruisent, et des marins qui nous donnent sur les oreilles. Si nous n’avons point de marins en France, nous commençons à avoir des philosophes ; leur nombre augmente par la persécution même. Ils n’ont qu’à être sages, et surtout être unis : comptez qu’ils triompheront ; les sots redouteront leur mépris, les gens d’esprit seront leurs disciples. La lumière se répandra en France comme en Angleterre, en Prusse, en Hollande, en Suisse, en Italie même ; oui, en Italie. Vous seriez édifié de la multitude des philosophes qui s’élèvent sourdement dans le pays de la superstition. Nous ne nous soucions pas que nos laboureurs et nos manœuvres soient éclairés, mais nous voulons que les gens du monde le soient, et ils le seront : c’est le plus grand bien que nous puissions faire à la société ; c’est le seul moyen d’adoucir les mœurs, que la superstition rend toujours atroces.

Je ne me console point que vous ayez donné votre livre sous votre nom ; mais il faut partir d’où l’on est.

Comptez que la grande dame[1] a lu les choses comme elles sont imprimées ; qu’elle n’a point lu le mot abominable, et qu’elle a lu le Repentir du grand Fénelon. Soyez sûr encore que ce mot a fait un très-bon effet ; soyez sûr que je suis très-instruit de ce qui se passe.

  1. Mme de Pompadour.