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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/258

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qui se payent de pareilles raisons, et ces sots-là en entraînent d’autres, et de sots en sots l’innocence et la vérité restent opprimées.

Je ne suis pas plus édifié que vous de la profession de foi de Jean-Jacques, d’autant que je ne crois pas cette momerie fort nécessaire pour dîner et souper tranquillement, et dormir de même, dans les États de votre ancien disciple, où Jean-Jacques s’est réfugié après avoir dit assez de mal du maître. Je plains le malheur que sa bile et ses persécuteurs lui causent ; mais s’il a besoin pour être heureux d’approcher de la sainte table, et d’appeler sainte comme il le fait, une religion qu’il a vilipendée, j’avoue que je rabats beaucoup de l’intérêt. Au reste, je ne suis surpris ni que vous lui ayez offert un asile, ni qu’il l’ait refusé ; il eût été trop inconséquent d’aller demeurer chez le corrupteur de son pays, car c’est ainsi que vous m’avez mandé qu’il vous appelait. Mais enfin il a travaillé sans le vouloir, et beaucoup mieux qu’il ne pensait, pour la vigne du Seigneur, et, pour ma part, je lui en tiens beaucoup de compte.

Je ne sais ce que c’est que cette bêtise qu’on a imprimée, sous votre nom et sous le mien, dans les journaux d’Angleterre[1]. Si vous voulez me la faire parvenir, je suis prêt à donner tous les désaveux que vous jugerez nécessaires.

Frère Berthier avait envie, à ce qu’il disait, d’aller à la Trappe, et il a fini par vouloir être à Versailles. Il y a actuellement dans ce pays-là dix-sept ou dix-huit ci-devant soi-disant jésuites, comme les classes du parlement les appellent ; ils se sont réfugiés là ; jamais il n’y en a tant eu, et ils ont dit en quittant Paris, à frère Berthier, comme Strabon au paysan son pourvoyeur :


Nous allons à la cour, on t’a mis du voyage[2].


On dit qu’il se mêlera de l’éducation sans avoir de titre ; il se contentera d’être appelé sans être élu.

À propos de cela, savez-vous qu’on m’a proposé, à moi qui n’ai pas l’honneur d’être jésuite, l’éducation du grand-duc de Russie ? Mais je suis trop sujet aux hémorroïdes[3], elles sont trop dangereuses en ce pays-là, et je veux avoir mal au derrière en toute sûreté.

Savez-vous ce qu’on me dit hier de vous ? que les jésuites commençaient à vous faire pitié, et que vous seriez presque tenté d’écrire en leur faveur, s’il était possible de rendre intéressants des gens que vous avez rendus si ridicules. Croyez-moi, point de faiblesse humaine ; laissez la canaille janséniste et parlementaire nous défaire tranquillement de la canaille jésuitique et n’empêchez point ces araignées de se dévorer les unes les autres.

Je ne puis être fâché ni pour la France ni pour la philosophie de voir votre ancien disciple remonté sur sa bête. Il m’a envoyé, il y a un mois,

  1. Voyez lettres 5010 et 5021.
  2. Regnard, Démocrite amoureux, acte I, scène vii.
  3. Allusion à la colique hémorroidale dont on disait que Pierre III était mort.