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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/286

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qu’il sera à Paris. Je veux qu’il soit en liaison avec M. d’Argental, cela est important. Qu’on nous envoie vite la pauvre servante. On trouvera bien quelqu’un à Genève qui entendra son jargon[1]. On la fera déposer juridiquement à Gex, et on pourra tirer un très-grand parti de cette bonne créature.

Toute cette abominable affaire m’intéresse tous les jours de plus en plus. J’embrasse de tout mon cœur M. Debrus. V.


5080. — À M. D’ALEMBERT.
Aux Délices, 1e novembre.

Mon très-digne philosophe, n’est-ce pas Mécène[2] qui disait : Non omnibus dormio ? et moi, chétif, je vous dis : Non omnibus ægroto. J’étais du moins fort aise que M. le duc de Choiseul sût à quel point il m’avait chagriné : il avait pu me soupçonner d’être ingrat. Je lui ai les plus grandes obligations ; c’est à lui seul que je dois les privilèges de ma terre. Toutes les grâces que je lui ai demandées pour mes amis, il me les a accordées sur-le-champ : je suis d’ailleurs attaché depuis vingt ans à M. le comte de Choiseul. Il faudrait que je fusse un monstre pour parler mal du ministère dans de telles circonstances. Vous avez parfaitement senti combien cette infâme accusation retombait sur vous. On voulait nous faire regarder, nous et nos amis, comme de mauvais citoyens, et rendre notre correspondance criminelle ; cette abominable manœuvre a dû m’être infiniment sensible. Mon cœur en a été d’autant plus pénétré que, dans le temps même que M. le duc de Choiseul me faisait des reproches, il daignait accorder, à ma recommandation, le grade de lieutenant-colonel à un de mes amis : c’était Auguste qui comblait Cinna de faveurs. J’en

    un mémoire public : Observations pour le sieur J. Calas, etc. Ce mémoire est remarquable par l’autorité d’une ferme et haute raison. Mais après s’être ainsi prononcé, M. de Lasalle dut se récuser au moment du jugement ; il n’était plus étranger à la cause qu’il s’agissait de juger, et c’est par ce motif qu’il ne put siéger parmi les juges du malheureux Calas. Il fut accueilli à Paris avec transport par les disciples de Voltaire et les partisans de Calas. Dans les drames philosophiques auxquels donna lieu plus tard cette lugubre histoire, c’est toujours lui qui a le beau rôle ; comme les Aristes de Molière, mais avec plus de déclamation et un pompeux étalage de maximes, il est le sage de la pièce, tandis que David en est le traître ou le tyran. (Note du premier éditeur.)

  1. Le patois de Languedoc.
  2. Ce n’était pas Mécène, mais un Romain chez qui Mécène dînait. Le Romain faisait semblant de dormir pendant que Mécène caressait sa femme. Un esclave croyant son maître endormi voulut voler un vase d’or, et fut arrêté par ces paroles : Non omnibus dormio.