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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/313

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je ne donne pas assez, vous sentez, mes anges, que ce père n’est pas un homme accommodant.

Cependant il faut tâcher de faire réussir une affaire que vous m’avez rendue chère en me la proposant.

Notre futur a fait noblement son métier de meurtrier, tout comme un autre : puis il me parait trop philosophe pour aimer beaucoup l’emploi de tuer du monde pour de l’argent et pour une croix de Saint-Louis. Je le crois très-propre aux importantes négociations que nous avons avec la petitissime et très-pédantissime république de Genève. Voici un temps favorable pour employer ailleurs M. de Montpéroux, résident à Genève. Il y a bien des places dont M. le duc de Praslin dispose. Il me semble que si vous vouliez placer à Genève notre futur, vous obtiendriez aisément cette grâce de M. le duc de Praslin : rien ne serait plus convenable pour les Genevois et pour moi, et surtout pour Mme Denis, qui commence à trouver les hivers rudes à la campagne au milieu des neiges. Mlle Corneille vous devrait son établissement, Mme Denis et moi nous vous devrions la santé, M. de Vaugrenant vous devrait tout. Voyez, anges bienfaisants, si vous pouvez faire tant de bien, si M. le duc de Praslin veut s’y prêter. Vous pouvez faire quatre heureux, et c’est la seule manière de célébrer ce beau sacrement de mariage sous vos auspices ; sans cela, l’inflexible père ne donnera point son consentement, et voici comment il raisonne : l’argent des souscriptions est peut-être peu de chose, et l’on ne saura que dans dix-huit mois à quoi s’en tenir. On ne veut guère articuler, dans un contrat de mariage, l’espérance d’un produit de souscription pour un livre imprimé par des Genevois. Les quatorze cents livres de rente qui appartiendront à Mlle Corneille ne sont que viagères ; elle n’aura donc que mille livres de rente à stipuler réellement.

Il pourra même pousser plus loin ses scrupules, s’il sait que le premier président actuel de Dijon dispute à son père jusqu’à la propriété de la terre de la Marche. Notre sacrement est donc hérissé de difficultés, et toutes seraient aplanies par l’arrangement que j’imagine. Le sort de Mlle Corneille est donc entre les mains de mes anges.

Je baise le bout de leurs ailes avec plus de ferveur que jamais : il est vrai que je ne leur envoie point de tragédie pour les séduire. Je suis occupé à présent à faire un parc d’une lieue de circuit, qui a pour point de vue, en vingt endroits, dix, quinze, vingt, trente lieues de paysage. Si je peux trouver d’aussi belles situations au théâtre, vous aurez des drames ; mais laissons