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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/347

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des capucins insolents qui nous haïssent et nous méprisent, et que je voudrais voir anéantis avec la superstition qu’ils protègent : je parle, comme vous, de la superstition, et non pas de la religion chrétienne, que j’honore comme les sociniens honteux de Genève honorent son divin fondateur. Voilà encore le socinien Vernet qui vient d’imprimer deux lettres[1] contre vous et contre moi ; il ne m’a pas été possible de les achever : cela est d’un style et d’un goût exécrables. Ne pourrait-on pas pourtant donner sur les oreilles à ce prestolet ? Mais il faudrait avoir pour cela ce qui a été écrit contre lui en Hollande et ailleurs au sujet de son catéchisme ; et puis il faudrait avoir du temps de reste pour lire toutes ces rapsodies, et pour en écrire d’autres sur celles-là ; et ni vous ni moi n’avons de temps à perdre.

Avez-vous entendu parler d’une nouvelle feuille périodique intitulée la Renommée littéraire[2], où on dit que vous êtes assez maltraité ? Que de chenilles qui rongent la littérature ! Par malheur ces chenilles durent toute l’année, et celles des bois n’ont qu’une saison. On dit que l’auteur de cette infamie, que je n’ai pas eu le temps ni le courage de lire, est un certain Le Brun, à qui vous avez eu la bonté d’écrire une lettre de remerciement sur une mauvaise ode qu’il vous avait adressée. Je me souviens que, dans cette ode, il y avait un vers qui finissait par les lauriers touffus[3]. Une femme avec qui je lisais cette ode trouva l’épithète singulière. « Je la trouve comme vous, lui dis-je ; je ne crois pourtant pas que ce soit une faute d’impression. Les lauriers de M. Le Brun se contentent de rimer à touffus, mais ne le sont pas. »

Laissons là toutes ces vilenies, et dites-moi où vous en êtes de Corneille, du Czar, et d’Olympie. À propos, on dit que vous serez obligé de changer le titre de cette dernière pièce, à cause de l’équivoque Ô l’impie ! Et puis dites que nous ne sommes pas plaisants.

Il parait que l’affaire des Calas prend une tournure assez favorable ; cependant ces pauvres gens-là ont bien des ennemis, et on écrit de Toulouse que les absous sont coupables, mais que le roué n’était pas innocent. Pour moi, je suis persuadé, comme vous, que cette malheureuse famille a été la victime des pénitents blancs. Croiriez-vous qu’un conseiller au parlement disait, il y a quelques jours, à un des avocats de la veuve Calas, que sa requête ne serait point admise parce qu’il y avait en France plus de magistrats que de Calas ? Voilà où en sont ces pères de la patrie.

En attendant que vous répondiez à Caveyrac, qui n’en vaut pas la peine, le Châtelet vient de décréter ce Caveyrac de prise de corps pour avoir fait l’Appel à la raison, en faveur des jésuites. Tous ces fanatiques en appellent de part et d’autre à la raison ; mais la raison fait pour eux comme la Mort :

  1. L’édition de 1763 des Lettres d’un voyageur anglais contient six lettres ; voyez tome XXV, page 492.
  2. Ce journal, rédigé par Le Brun, a commencé le 1er décembre 1762 et fini en 1763. La collection forme deux volumes in-12.
  3. Vers 3 de la strophe xviii. Il a été corrigé.