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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/384

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Je vous confie encore une autre douleur de Mme Denis ; elle tremble que les réponses ne viennent pas assez tôt, qu’elle ne soit obligée de marier Marie en carême, qu’il faille demander une permission à l’évêque d’Annecy, difficile à obtenir ; que ses perdrix de Valais, ses coqs de bruyère, ne soient inutiles, et qu’on ne soit réduit à manger des carpes et des truites un jour de noce, attendu que M. le comte d’Harcourt et compagnie, qui seront de la noce, sont d’excellents catholiques. Pour moi, qui ne suis ni papiste ni huguenot, et qui depuis un mois ne me mets point à table, j’avoue ingénument que je suis de la plus grande indifférence sur le gras et sur le maigre :


Je ne sers ni Baal, ni le Dieu d’Israël[1] ;


et je ne mange ni coq de bruyère ni truite.

Je suis profondément affligé que Son Altesse Philibert Cramer se soit mêlée de la négociation entre monsieur le contrôleur général et M. Tronchin, pour la souscription du roi ; je l’avais priée, par son frère le libraire, de n’en rien faire, parce qu’il ne tenait qu’à moi de toucher huit mille livres du roi pour Mlle Corneille par les mains de M. de La Borde, et qui s’en serait bien fait rembourser. Il aurait donné même dix mille livres.

Vous avez très-grande raison, mes divins anges, de dire que les rentes viagères ne conviennent point. Je vois que Philibert veut avoir pour lui les rentes viagères, et payer les dix mille livres ; je suis bien aise qu’il soit en état de faire ces virements de parties, et qu’il ait fait avec moi cette petite fortune.

À l’égard de Sa Majesté, si nous pouvions obtenir qu’il fût permis de mettre dans le contrat qu’elle daigne donner huit ou dix mille livres, cela n’empêcherait pas de lui envoyer tant d’exemplaires de Corneille qu’elle en voudrait ; ce serait seulement une chose très-honorable pour Mlle Corneille, pour les lettres, et pour nous. J’en ai écrit à M. le duc de Choiseul[2]. Si la chose se fait, tant mieux ; sinon il faudra se consoler comme de toutes les choses de ce monde, et assurément le malheur est léger.

Toutes ces terribles affaires, mes divins anges, n’empêcheront point que vous n’ayez l’amoureuse Zulime, le bon Bénassar, et

  1. Racine, Athalie, acte III, scène iii.
  2. Cette lettre est perdue.