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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/387

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ne sait que trop l’intérêt que j’ai pris à cette affaire ; nos ennemis auraient lieu de présumer que j’ai fait venir cette fille dans ma maison pour concerter ses réponses avec celles de Calas Pierre. J’ai trop de monde chez moi pour qu’elle y fût secrètement ; il est impossible que son séjour ne fût public. On sait de plus que je passe une partie de l’année dans le territoire de Genève ; les Senaux, les Labordes et Cassan[1], ne manqueraient pas de dire que cette servante est une huguenote déguisée qui a communié pendant trente ans pour se moquer de Dieu et des hommes.

Ces considérations me paraissent fortes et m’arrêtent ; je m’en rapporte à l’avis de M. Debrus, que j’embrasse de tout mon cœur.


5180. — À MADAME LA COMTESSE D’ARGENTAL.
9 février.

Madame ange, nos lettres se croisent comme les conversations de Paris. Celle-ci est une action de grâces de la part de Mme Denis, qui a un érésipèle, un point de côté, la fièvre, etc. ; de la part de mon cornette de dragons, qui se jette à vos pieds, et qui baise le bas de votre robe avec transport ; de la part de Marie Corneille, qui vous écrirait un volume si elle savait l’orthographe ; et enfin de la part de moi, aveugle, qui réunis tous leurs sentiments de respect et de reconnaissance. Il n’y a rien que vous n’ayez fait : vous échauffez les abbés de La Tour-du-Pin, vous allez exciter la générosité des fermiers généraux. Il n’y a qu’un point sur lequel j’ose me plaindre de vous : c’est que vous avez omis la permission de la signature d’honneur de mes deux anges. Je vous avertis que j’irai en avant, et que le contrat de Marie sera honoré de votre nom ; vous me désavouerez après si vous voulez.

J’ai reçu aujourd’hui une lettre de Mme de Cormont. Elle demande pardon pour son dur mari ; elle me conjure de donner Mlle Corneille à son fils ; je lui réponds que la chose est difficile, attendu que Mlle Corneille est fiancée à un autre. Il y a de la destinée dans tout cela, et je crois fermement à la destinée, moi qui vous parle. Celle de M. Lefranc de Pompignan est de me faire

  1. M. de Senaux était président, MM. de Lasbordes et Cassan, conseillers au parlement de Toulouse ; ce dernier fut le rapporteur qui conclut contre Jean Calas. Le premier surtout était d’un fanatisme aussi ardent qu’irréfléchi.

    En tout cas, le conseil qu’on donnait à Voltaire valait bien mieux que son projet (énoncé dans la lettre 5171). Il eut le bon esprit de s’y conformer. (Note du premier éditeur.)