Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/392

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’aurais voulu faire tout cela dans votre chambre, et vous consulter à chaque ligne, car je ne suis pas le premier théologien de ce monde, et votre éloquence m’aurait encore plus aidé que votre théologie.

J’ai envoyé à votre ami l’arien[1] un petit chapitre tout à fait édifiant, qu’il vous aura sans doute montré, car il ne me l’a point rendu. Ce n’est point dans l’arianisme que je crains de tomber, c’est dans quelque chose en isme qui est pire qu’une hérésie[2] ; mais si les malins y trouvent quelques traces de cet abominable isme, j’ai tant de confrères, et de grandissimes confrères, que j’espère être soutenu dans mon infamie.

Sérieusement parlant, je m’examine avec le plus grand scrupule ; je tâche de montrer les choses les plus absurdes avec le plus profond respect, de ne point donner prise, de présenter sans cesse aux hommes l’adoration d’un Dieu et l’amour du prochain.

Ayez la bonté, je vous en supplie, de donner au porteur la petite esquisse, et le tome du Corneille où est Hèraclius.

Permettez-moi de vous embrasser sans cérémonie, avec autant d’empressement que j’en ai d’avoir l’honneur de vous revoir.


Mardi matin.

5186. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, ce 12 février.

Je commence à croire, mon cher et illustre maître, que le fanatisme pourrait bien avoir le même sort que l’empire romain, d’être détruit par les Tartares. Les souverains de la zone glaciale donneront ce grand exemple aux princes des zones tempérées ; et Fontenelle eût dit à Catherine qu’elle est destinée à être l’aurore boréale de l’Europe. En attendant, je ris, à part moi, de la manière dont les choses sont arrangées dans ce meilleur des mondes possibles : au Midi, la philosophie persécutée, vilipendée sur le théâtre ; au fond du Nord, une princesse qui la protège et qui la cultive :


C’est dommage, Garo, que tu n’es point entré
Au conseil de celui que prêche ton curé :
Tout en eût été mieux[3].


J’ai bien pour que Catherine d’Alexandrie, qui confondit, comme vous savez, les philosophes avec tant de succès, ne voie de fort mauvais œil l’accueil que leur fait Catherine de Russie, et ne se récuse pour sa patronne.

  1. M. Vernes, pasteur.
  2. Le Déisme.
  3. La Fontaine, livre IX, fable iv.