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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/443

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mais les Appels à la Raison[1] sont déjà oubliés ; et les plaisanteries ne sont bonnes que quand elles sont servies toutes chaudes. D’ailleurs il me paraît bien difficile que la raison prononce sur les enfants de Loyola, sans dire son avis sur ceux de cet extravagant François d’Assise, et de cet énergumène de Dominique, et de cet insolent Norbert, et de tous ces instituteurs de milice papale, toujours à charge aux citoyens, et toujours dangereuse pour les gouvernements.

Je me chargerai bien pourtant, et très-volontiers, d’être le greffier de la raison dans un tribunal dont vous êtes le premier président ; mais je suis depuis longtemps occupé d’une affaire qui n’est ni moins raisonnable ni moins pressante ; c’est malheureusement contre le parlement de Toulouse. La destinée a voulu qu’on me vînt chercher dans les antres des Alpes pour secourir une famille infortunée, sacrifiée au fanatisme le plus absurde, et dont le père a été condamné à la roue sur les indices les plus trompeurs. Vous aurez sans doute entendu parler de cette aventure : elle intéresse toute l’Europe, car c’est le zèle de la religion qui a produit ce désastre. Il me paraît que, grâce à vous, monsieur, on est plus raisonnable dans l’Armorique que dans la Septimanie. Les têtes bretonnes tiennent de Locke et de Newton, et les têtes toulousaines tiennent un peu de Dominique et de Torquemada.

Je vous avoue que j’ai eu une grande satisfaction quand j’ai su que tout le conseil, au nombre de cent juges, avait condamné, d’une voix unanime, le zèle avec lequel huit catholiques toulousains ont condamné à la roue un père de famille, parce qu’il était huguenot : car voilà à quoi se réduit tout le procès.

J’ai lu les deux tomes de votre Société d’Agriculture, et j’en ai profité. J’ai fait semer du fromental ; j’ai défriché ; j’ai fait une terre de sept à huit mille livres de rente d’une terre qui n’en valait pas trois mille. Cette occupation de la vieillesse vaut mieux que de faire des Agésilas et des Suréna. Cependant j’en fais encore pour mon malheur, mais je n’en ferai pas longtemps : vox quoque Mœrim déficit[2] ; ce qui ne me déficit point, c’est l’estime très-respectueuse et le sincère attachement avec lesquels j’ai l’honneur d’être, etc.

  1. Voyez la note, tome XXVI, page 120.
  2. On lit dans Virgile (Églog. ix, v. 53) :

    · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Vox quoque Mœrim
    Jam fugit ipsa.