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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/462

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Ils me l’avaient promis. Ils me manquent de parole, et leur édition est déjà en chemin ; ils manquent à la foi des traités, et ils me doivent assez pour être fidèles. Je suis outré. J’ai recours à vous. Je ne veux point être brûlé en mon propre et privé nom. Vous avez un Cramer[1] à Paris, vous me direz qu’il n’est point libraire, qu’il est prince de Genève ; mais un prince doit avoir de la clémence. Le fait est que s’ils n’ôtent pas mon nom, et s’ils n’insèrent pas dans l’ouvrage les cartons nécessaires, je demanderai net la saisie des exemplaires fataux ou fatals[2].

Les dernières pièces du père Pierre, et les dernières sottises de ma chère nation, ne laissent pas de me gêner : car, en qualité de critique et d’historien, vous savez que la vérité est mon premier devoir ; et la dire sans déplaire aux gens de mauvaise humeur, c’est la pierre philosophale.

Ce qui m’est encore fort amer, c’est que lesdits Cramer ont recueilli tous les traits nouveaux que j’ai ajoutés à la nouvelle édition de l’Histoire générale ; et de tous ces petits morceaux ils ont fait un recueil[3] qui se trouve être la satire du genre humain. Ils prétendent donner ce recueil comme un supplément pour ceux qui ont la première édition. Qu’arrivera-t-il ? Les traits qui ne frappaient pas quand ils étaient épars dans huit volumes paraîtront un peu trop piquants quand ils seront rassemblés dans un seul tome ; ce sera là le corps du délit. J’ai souvent représenté que la chose était dangereuse ; mais ces messieurs, en pesant mon danger et leur intérêt, ont vu que leur intérêt avait beaucoup plus de poids. Ils ont dit que s’ils n’avaient pas fait ce recueil, d’autres l’auraient fait ; et leur maudit recueil est en chemin avec l’édition entière de l’Histoire. Voilà donc dangers sur dangers ; et s’ils mettent mon nom au petit recueil, et s’ils n’y mettent pas les cartons, je me tiens pour brûlé, et, Dieu merci, c’est la seule récompense de cinquante ans de travaux. Messieurs devraient cependant me ménager un peu : car, en vérité, pourront-ils empêcher que leur refus de rendre justice au peuple ne soit consigné dans toutes les gazettes ? Pourront-ils empêcher que ce refus ne soit aussi ridicule qu’injuste ? Plairont-ils beaucoup au gouvernement en proscrivant des ouvrages où la conduite du roi se trouve, par le seul exposé et

  1. Philibert Cramer, frère de Gabriel.
  2. Voyez le Mercure galant, comédie de Boursault, IV, vii.
  3. Ce recueil fut publié sous le titre d’Additions ; voyez l’Avertissement de Beuchot, tome XI, page xii.