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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/470

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faisais un plaisir de le consacrer aux amusements de mes anges ; mais eux-mêmes ne me conseilleraient pas, dans les circonstances présentes, d’essuyer de nouvelles humiliations.

Je suis bien étonné qu’on me reproche d’avoir dit dans l’Histoire de Pierre le Grand ce que j’avais déjà dit dans celle de Louis XIV. Vous me direz que j’ai eu tort dans l’une et dans l’autre ; malheureusement ce tort est irréparable, tous les exemplaires étant partis de Genève il y a plus de trois mois, à ce que disent les Cramer ; et ces torts consistent à avoir dit des vérités dont tout le monde convient, et qui ne nuisent à personne. Au reste, si vous avez trouvé quelque petite odeur de philosophie morale et d’amour de la vérité dans l’Histoire de Pierre le Grand, je me tiens très-récompensé de mon travail : car c’est à des lecteurs tels que vous que je cherche à plaire.

Vous aurez incessamment la Lettre de Jean-Jacques à Christophe. Il n’a point fait de cartons, comme on le croyait : il persiste toujours à dire qu’il fallait lui élever des statues au lieu de le brûler ; il assure que si on trouve quelques traits voluptueux dans son l’Héloïse, il y en a davantage dans l’Aloïsia[1], que tous les prêtres ont à Paris dans leurs bibliothèques. Il proteste à Christophe qu’il est chrétien ; et en même temps il couvre la religion chrétienne d’opprobres et de ridicules ; il y a une douzaine de pages sublimes contre cette sainte religion. Peut-être ce qu’il dit est-il trop fort : car, après tout, le christianisme n’a fait périr qu’environ cinquante millions de personnes de tout âge et de tout sexe, depuis environ quatorze cents ans, pour des querelles théologiques. J’oubliais de vous dire que Jean-Jacques, dans son épître, prouve à Omer qu’il est un sot, en quoi je suis entièrement de son avis.

Mes divins anges, la plus grande consolation de ma vie est votre amitié ; il est vrai que je ne vous verrai plus, mais je songerai toujours que vous daignez m’aimer. Mme Denis est infiniment sensible à toutes vos bontés. Tronchin prétend quelle sera guérie après qu’elle aura pris quatre ou cinq mille pilules. J’aimerais mieux faire un voyage aux eaux, pourvu que vous y fussiez.

Mes divins anges, il faut encore que je vous dise que j’exige absolument des Cramer d’ôter mon misérable nom des frontispices de leur recueil[2]. Vous savez que rien n’est plus aisé

  1. On désigne ainsi l’ouvrage de Çhorier, intitulé Johannis Meursii Elegantiæ latini sermonis, ouvrage obscène, dont il existe deux traductions françaises. (B.)
  2. Voyez page 450.