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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/55

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qui a cent quatre ans passés[1] et qui gouverne très-bien toute sa famille. Ses règles lui sont revenues à cent deux ans. Mais elle n’a pas voulu se remarier. Voilà l’exemple que je vous propose. Adieu, madame. Daignez agréer le tendre intérêt que je prends à vous, mon attachement, et mon respect.


4842. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
Aux Délices, 14 février.

Il y a longtemps, madame, que le pédant commentateur de Pierre Corneille n’a eu l’honneur de vous écrire ; il faut que je vous dise une chose très-consolante pour les femmes.

Il y a dans mon voisinage de Genève une petite femme qui a toujours été d’un tempérament faible : elle a eu hier cent quatre ans, très-régulièrement, et vous jugez bien que les plaisants lui ont proposé de se remarier ; mais elle aime trop sa famille pour donner des frères à ses enfants. La partie par où l’on pense ne s’est point affaiblie en elle : elle marche, elle digère, elle écrit, gouverne très-bien les affaires de sa maison. Je vous propose cet exemple à suivre un jour.

Pour des hommes de ce caractère, je n’en connais point : Bernard de Fontenelle[2] n’était qu’un petit garçon auprès de ma Genevoise. Je souhaite à M. le président Hénault la centaine au moins de Fontenelle, mais je crois que Moncrif nous enterrera tous. On dit que sa perruque est mieux arrangée et mieux poudrée que jamais. Tout ce qui me fâche, c’est qu’il ne fasse plus de petits vers ; c’est grand dommage.

À propos de Moncrif, j’ai fait une perte considérable dans l’impératrice russe ; mais sur-le-champ j’ai pris l’impératrice-reine, et elle a souscrit pour Mlle Corneille, tout comme le roi de France. Il faut toujours avoir quelques têtes couronnées dans sa manche. Mlle Corneille, d’ailleurs, joue très-joliment les soubrettes.

Si j’avais de plus grandes nouvelles, madame, je vous en dirais pour vous amuser ; mais vous avez la meilleure compagnie de Paris chez vous, et vous n’avez pas besoin de ce qui se passe au pied des Alpes.

  1. Mme Lullin.
  2. Voyez lome XIV, page 74. Quand il est mort il n’avait que quatre-vingt-dix-neuf ans, dix mois et vingt-huit jours.