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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/65

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tions, vous avez toujours cultivé l’amitié, et que vous paraissez toujours occupé de vos amis comme si vous aviez du temps de reste. Votre caractère l’enchante. Il a été lui-même assez malade ; mais, dès que Sa Majesté macédonienne a été en état de raisonner, je lui ai fait part de vos remontrances. Il admire toujours la sagacité de votre génie et la facilité de vos moyens ; il dit qu’il n’a jamais connu d’esprit plus conciliant. J’ai pris ce temps pour lui dire : « Faites donc ce qu’il vous propose ; » il m’a répondu que cela lui était impossible. « Mettez-vous à ma place, m’a-t-il dit. Que m’importe d’avoir autrefois donné un coup de sabre à une Persane ? Quels si grands remords pourrais-je en avoir, si je n’étais pas éperdument amoureux de sa fille ? N’ai-je pas dit exprès à mon maître de la garde-robe :


Ces expiations, ces mystères cachés,
Indifférents aux rois, et par moi recherchés,
Elle en était l’objet ; mon âme criminelle
N’osait parler aux dieux que pour approcher d’elle.

(Acte IV, scène iv.)

« Vous savez, a-t-il ajouté, qu’on ne s’intéresse guère qu’à nos passions, et très-peu à nos dévotions ; si je me suis confessé, et si j’ai communié, on sent bien que c’est pour Olympie. J’insiste encore sur les ridicules qu’on me donnerait si mon père et moi avions eu pendant treize ans la fille d’Alexandre entre nos mains, après l’avoir prise dans son palais, et que nous n’en sussions rien. »

Je ne vois d’autre réponse à cet argument que de bâtir un roman à la façon de Calprenède[1], et de supposer un tas d’aventures improbables, d’amener quelque vieillard, quelque nourrice qu’il faudrait interroger ; et ce nouveau fil romprait infailliblement le fil de la pièce. L’esprit partagé entre tant d’événements perdrait de vue le principal intérêt. « Il y a bien plus, dit-il ; une reconnaissance est touchante quand elle se fait entre deux personnes qui ont intérêt de se reconnaître : mais Cassandre, en apprenant que sa maîtresse est la fille de Statira, n’apprendrait qu’une très-fâcheuse nouvelle. De plus, il faudrait deux reconnaissances au lieu d’une, celle d’Oljmpie et celle de Statira ; l’une ferait tort à l’autre. »

Je vous avoue que j’ai été fort ébranlé de toutes ces raisons,

  1. Voyez tome XIV, page 48. L’un des romans de La Calprenède est intitulé Cassandre.