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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/70

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encore peu que du génie, elle est bon génie. Assez de dames disent leurs dégoûts, assez disent, en tournant la tête : Ah ! l’horreur ! et puis vont jouer et souper ; mais trouver le mal et le remède, cela n’est pas du train ordinaire. Je ne peux encore prendre un parti sur ce qu’elle propose ; j’avais fait ce Cassandre ou cette Olympie uniquement pour le cinquième acte. Je voulais hasarder de faire voir une femme mourant de douleur ; je me disais : Le président Hénault, dans son petit livre[1], fait mourir vingt ministres de chagrin ; pourquoi Statira n’en mourrait-elle pas ? En la peignant, surtout dès le second acte, accablée de ses douleurs, et languissante, et invoquant la mort, et n’attendant que ce moment, cela n’était-il pas cent fois plus touchant, cent fois plus naturel que de faire expirer de douleur, en un seul verset d’une seule bouchée, une sotte princesse, dans Suréna ? Ah ! que cela est beau ! disaient les cornéliens que j’ai vus dans ma jeunesse.


Non, je ne pleure point, madame ; mais je meurs.

(Corneille, Suréna, acte V, scène v.)

Et moi je dis : Que cela est froid ! que cela est pauvre ! Ah ! ce que je commente ne me plaît guère. Enfin pourquoi un bûcher ne vaudrait-il pas le pont aux ânes du coup de poignard ?

Pourquoi, avant-hier[2], un acteur qui lisait la pièce aux autres acteurs qui vont la jouer chez moi, dans huit jours, nous fit-il tous fondre en larmes ? Attendons ces huit jours ; laissez-moi jouer la pièce telle que je l’ai achevée, laissez-moi reprendre mes esprits ; je n’en peux plus, je sors du bal, ma tête n’est point à moi, — Un bal, vieux fou ? un bal dans tes montagnes ? et à qui l’as-tu donné ? aux blaireaux ? — Non, s’il vous plaît ; à très-bonne compagnie, car voici le fait : nous jouâmes hier le Droit du Seigneur, et cela sur un théâtre qui est plus joli, plus brillant que le vôtre assurément. Notre théâtre est favorable aux cinquièmes actes ; la fin du quatrième fut reçue très-froidement, comme elle mérite de l’être ; mais à ces vers : Je vais partir… Je ne partirai plus ; Avouez donc la gageure perdue… J’aime… Eh bien donc, régnez ; à ces vers si vrais, si naturels, si indignement retranchés, il partait des applaudissements des mains et du cœur. J’avoue que la pièce est bien arrondie ;  ; mais enfin c’est notre cin-

  1. Abrégé chronologique de l’Histoire de France.
  2. Samedi 6 mars.