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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/87

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de Paris, ma lettre était très-sage. Certain discours prononcé contre les encyclopédistes[1], certaines cabales, certaines persécutions, sont des orages auxquels un homme de mon âge ne doit pas s’exposer. La personne dont vous parlez dans votre lettre à Mme Denis ne peut pas, ou du moins ne doit pas, dire qu’elle a vu ce qu’elle n’a jamais vu. Ce serait une très-grande infidélité et un crime dans la société d’accuser un homme dont on doit être très-content, et de l’accuser après avoir eu sa confiance. Mais ce serait dans ce cas-ci un mensonge affreux, Ce que je vous dis est très-exact, très-vrai, et la personne en question n’a rien vu ni rien pu voir.

Au reste, les modes changent en France : c’était autrefois la mode de faire des campagnes glorieuses, d’être le modèle des autres nations, d’exceller dans les beaux-arts ; aujourd’hui, on ne connaît plus que des querelles pour un hôpital[2], des cabriolets, des fêtes de catins sur les remparts[3], et des persécutions contre des hommes sages et retirés. Si je ne suis pas sage, je suis au moins très-retiré, et je ne veux pas donner lieu à des pédants de troubler ma retraite. Croyez que je suis instruit de bien des choses, et que j’ai dû écrire de façon à dérouter les curieux qui se trouvent sur les chemins ; mais croyez surtout que je vous aimerai toujours. Mme Denis vous en dira davantage ; mais elle ne vous est pas plus attachée que moi.


4871. — DE BACULARD D’ARNAUD,

en envoyant à voltaire son « poëme à la nation »[4].

Le 29 mars.

Monsieur, je vous ai aimé comme mon père, et je vous ai admiré comme un grand homme ; j’ai cru avoir à me plaindre du premier, il me fut bien cher, mais le grand homme m’est toujours précieux ; c’est à lui que j’ai l’honneur d’envoyer un poëme dont le sentiment fait tout le mérite ; il est d’un citoyen qui désirerait, pour éterniser son âme, s’élever à cet art enchanteur dont vous possédez seul l’heureuse magie. Il y a longtemps que vous devez être convaincu de ma vénération décidée pour vos talents. Vous avez cependant eu la faiblesse, vous qui vous élevez avec tant de force contre la calomnie, de céder aux impostures absurdes et grossières de quelques écrivains obs-

  1. Le réquisitoire d’Omer Joly de Fleury contre l’Encyclopédie, du 29 janvier 1759.
  2. Voyez tome XVI, page 80.
  3. On appelait ainsi les boulevards.
  4. Desnoiresterres, Voltaire à la cour, page 473.