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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/175

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demandai vos ordres. Voici la pièce que je vous envoie. Il se sera passé un temps assez considérable pour que votre affliction vous laisse la liberté de gratifier votre troupe de cette nouveauté, et que vous puissiez même l’honorer de votre présence.

M. de Thibouville va faire jouer à Paris les Scythes ; c’est une obligation que je lui ai, car c’est une peine très-grande, et souvent désagréable, que de conduire des acteurs.

J’ai chez moi actuellement M. de La Harpe et sa femme. Vous n’ignorez pas que M. de La Harpe est un homme de très-grand mérite, qui vient de remporter deux prix à notre Académie, par deux ouvrages excellents[1]. Il récite les vers comme il les fait ; c’est le meilleur acteur qu’il y ait aujourd’hui en France. Il est un peu petit, mais sa femme est grande. Elle joue comme Mlle Clairon, à cela près qu’elle est beaucoup plus attendrissante. Je souhaite que la pièce soit jouée à Paris et à Bordeaux comme elle l’est à Ferney.

La petite Durancy est mon élève. Elle vint, il y a dix ans, à Genève ; c’était un enfant. Je lui promis de lui donner un rôle, si jamais elle entrait à Paris à la Comédie ; elle me fit même, par plaisanterie, signer cet engagement. Il est devenu sérieux, et il a fallu le remplir. Je lui ai donné le rôle d’Obéide. Je ne connais point Mlle Dubois ; je ne savais pas même quelle sorte d’emploi elle avait à la Comédie. Vous savez qu’il y a près de vingt ans que les Fréron me chassèrent de Paris, où je ne retournerai jamais. Vous savez aussi que les pièces de théâtre font mon amusement ; j’en fais présent aux comédiens, et je ne dois attendre d’eux que des remerciements, et non des tracasseries. C’était même pour arrêter toutes les querelles de ce tripot que j’avais fait imprimer la pièce, que je ne comptais pas livrer au théâtre, ainsi que je le dis dans la préface. Enfin la voici avec tous les changements que j’ai faits depuis, et avec les directions, en marge, pour l’intelligence de la pièce, et pour gouverner le jeu des acteurs. Je ne sais si vous serez en état de vous en amuser, mais vous le serez toujours de la protéger.

Ces petites fêtes font l’agrément de ma vieillesse. Je vous envoie la pièce dans un autre paquet, et j’annonce sur l’enveloppe le titre du livre, afin qu’il puisse servir de passe-port.

Je me doutais bien que Galien[2], qui, dans ma tragédie, joue le rôle d’un jeune Scythe, ne jouerait pas dans votre réponse

  1. Voyez tome XLIV, pages 434 et 546.
  2. Voyez tome XLIV, page 458.