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Page:Voltaire Dialogues philosophiques.djvu/199

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dialogues philosophiques


LUCIEN. — Voilà d’étranges hommes que les barbares avec qui vous viviez ! De mon temps, les Gètes et les Massagètes étaient plus doux et plus raisonnables. Et quelle était donc votre profession dans l’horrible pays que vous habitiez ?


ÉRASME. — J’étais moine hollandais.


LUCIEN. — Moine ! quelle est cette profession-là ?


ÉRASME. — C’est celle de n’en avoir aucune, de s’engager par un serment inviolable à être inutile au genre humain, à être absurde et esclave, et à vivre aux dépens d’autrui.


LUCIEN. — Voilà un bien vilain métier ! Comment avec tant d’esprit aviez-vous pu embrasser un état qui déshonore la nature humaine ? Passe encore pour vivre aux dépens d’autrui : mais faire vœu de n’avoir pas le sens commun et de perdre sa liberté !


ÉRASME. — C’est qu’étant fort jeune, et n’ayant ni parents ni amis, je me laissai séduire par des gueux qui cherchaient à augmenter le nombre de leurs semblables.


LUCIEN. — Quoi ! il y avait beaucoup d’hommes de cette espèce ?