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Page:Wagner - Dix Écrits, 1898.djvu/130

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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

On ne peut donner, pour cette manière de concevoir l’ouverture, d’exemple plus clair et plus beau que l’ouverture d’Iphigénie en Aulide de Gluck. Essayons de démontrer plus particulièrement, d’après cette composition, quelle est la meilleure façon de procéder dans la construction d’une ouverture. Ici encore, comme dans celle de Don Juan, c’est la lutte de deux éléments ennemis qui produit le mouvement du morceau. Le drame même d’Iphigénie se compose de ces deux éléments. L’armée des héros grecs est convoquée et réunie pour l’accomplissement d’une grande entreprise commune : animée d’une seule idée, l’exécution de ce grand dessein, tout intérêt humain disparait devant cet intérêt unique de la masse. A cet intérêt colossal est opposé un seul intérêt privé, la conservation d’une seule vie humaine, le salut d’une tendre jeune fille. Avec quelle vérité caractéristique Gluck n’a-t-il pas personnifié musicalement ces éléments ennemis ! Avec quelles sublimes dimensions ne les a-t-il pas mesurés et opposés l’un à l’autre dans l’ouverture, à ce point que dans cette opposition seule résident tout d’abord la lutte et, par conséquent, le mouvement. On peut reconnaître à sa vigueur imposante, dans l’unisson de fer de l’allégro, la masse réunie pour un intérêt unique. C’est avec attendrissement qu’on reconnaît ensuite, dans le tendre et touchant contraste, l’individu souffrant qui doit être sacrifié à la masse.