Aller au contenu

Page:Wagner - Dix Écrits, 1898.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
141
UN MUSICIEN ÉTRANGER À PARIS

auquel il était permis d’antichambrer au milieu des hommes. Il faut que je te dise que ce chien m’avait été fort utile. C’était à lui seulement et à sa beauté que je devais d’avoir été quelquefois honoré d’un regard complaisant par le valet de l’antichambre. Malheureusement, il perdait chaque jour un peu de sa beauté, car la faim ravageait aussi ses entrailles. Cela me donna de nouvelles inquiétudes, puisqu’il devenait évident pour moi que c’en serait bientôt fait de la faveur de ce valet qui m’accueillait déjà parfois avec un sourire de dédain. — Je te disais donc que j’avais trébuché sur mon chien. J’ignore combien de temps je restai là, et combien de coups de pieds je pus recevoir des allants et venants. Enfin, je fus éveillé par les tendres caresses, par la chaude langue du pauvre animal. Je me relevai, et, dans un moment lucide, je compris sur-le-champ le devoir qui m’était le plus impérieusement recommandé : je devais donner à manger à mon chien. Un marchand d’habits intelligent m’offrit quelques sous pour mon mauvais gilet. Mon chien mangea, et je dévorai ce qu’il voulut bien me laisser. Cela lui réussit à merveille, mais rien ne pouvait plus me réussir à moi. Le produit d’une relique, du vieil anneau de ma grand’mère, suffit pour restituer au chien toute sa beauté disparue. Il resplendit de nouveau de tout l’éclat de sa beauté. Ô beauté fatale ! — L’état de ma tête était de plus en plus déplorable.