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Page:Wagner - Dix Écrits, 1898.djvu/187

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LE FREISCHÜTZ

tributaires, et les forcer à vous rendre des services inappréciables. Ainsi, par exemple, il lui proposait de l’accompagner à minuit en certain lieu ; et s’il voulait faire part à demi, il promettait de lui procurer des balles qui, imprégnées d’une puissance démoniaque, avaient la propriété d’atteindre le but le plus éloigné. Ces balles on les appelait balles-franches, et celui qui les possédait était franc-tireur (Freischütz).

Le jeune homme restait tout ébahi, tout stupéfait devant ces merveilleux récits qui s’accordaient du reste parfaitement avec tout ce qui se passait autour de lui depuis quelque temps. Ne devait-il pas être porté à croire à l’influence d’esprits invisibles, quand il songeait que lui, le meilleur tireur de la contrée, ne pouvait plus compter sur sa carabine, qui jusque-là n’avait jamais trompé son coup d’œil ? Déjà la paix de son âme était troublée : le jour était proche où, grâce à sa mauvaise étoile, il allait perdre pour toujours, peut-être, le bonheur auquel il aspirait. Sa destinée semblait le pousser irrévocablement à se servir d’une de ces balles démoniaques dont son camarade lui avait vanté l’infaillible puissance. Mais ces balles, où les trouver ? — À minuit, dans la Gorge-aux-Loups ! — Les cheveux se dressaient sur la tête du vertueux jeune homme. Dans la Gorge-aux-Loups ! À minuit ! Alors il comprenait tout. D’un coup d’œil, il sondait le sacrifice énorme qu’on exigeait de lui :