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Page:Wagner - Dix Écrits, 1898.djvu/203

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UNE SOIRÉE HEUREUSE




Fantaisie sur la musique pittoresque.


C’était par une belle soirée de printemps ; de chaudes ondulations glissaient par intervalles dans les airs, et nous annonçaient l’été, comme de brûlants soupirs d’amour. Nous suivions la foule qui se dirigeait vers un jardin public hors barrière : un corps de musiciens ouvrait ce soir-là une série de concerts qu’ils donnent annuellement dans cette localité. C’était une véritable fête : mon ami R… semblait dans l’extase. Avant que le concert ne commençât, il était déjà tout enivré d’harmonie ; il prétendait que c’était la musique intérieure qui d’avance vibrait et retentissait en lui. Nous nous établîmes sous un grand chêne : c’était notre place ordinaire ; on y était isolé de la foule, et l’on y entendait très distinctement la musique. De tout temps nous avons pris en pitié les malheureux auditeurs qui s’obstinent à se placer le plus près possible de l’orchestre ; nous ne pouvons nous expliquer le plaisir qu’ils semblent trouver à voir en quelque sorte la musique au lieu de l’entendre ; à suivre avec une anxiété curieuse les moindres mouve-