Aller au contenu

Page:Wagner - Dix Écrits, 1898.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
DE LA MUSIQUE ALLEMANDE

Sachez qu’il est extrêmement rare qu’un de ces artistes, fût-ce le dernier de l’orchestre, ne connaisse que la pratique d’un seul instrument. Presque tous sont d’une force égale au moins sur trois, et il en est bien peu qui ne se livrent pas en même temps à la composition, non pas seulement par routine et comme des manœuvres, mais avec une connaissance approfondie de l’harmonie et du contrepoint. Tous les membres pour ainsi dire d’un orchestre qui jouera une symphonie de Beethoven seraient en état de l’apprécier et de l’analyser avec une intelligence admirable ; et c’est au point que cette unanime confiance de chacun dans ses propres forces nuit quelquefois à l’ensemble de l’exécution ; car il arrive qu’entraîné par son propre élan, chacun se livre trop à ses inspirations personnelles, au détriment de l’harmonie générale.

On peut donc regarder à bon droit parmi nous les classes les plus modestes de la société comme celles où l’art musical a jeté les plus profondes racines ; car le grand monde n’offre pour ainsi dire qu’un cadre plus riche et plus brillant aux productions que fait éclore un travail assidu dans ces régions inférieures et subalternes. C’est donc au sein de ces familles bourgeoises que réside vraiment la musique allemande dans sa pureté originelle, et ce n’est que là où elle s’adresse exclusivement au sentiment moral et jamais à un vain amour-propre, qu’elle est à sa véritable place.