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Page:Wagner - Dix Écrits, 1898.djvu/37

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DE LA MUSIQUE ALLEMANDE

maîtres sur l’un ou l’autre de ces instruments. Les plus modestes résidences renferment même assez d’artistes consommés pour organiser un orchestre capable de rendre les conceptions les plus grandioses et les plus compliquées. Or, quelle réunion des produits les plus variés des autres arts équivaudrait à l’enchantement magique produit par un excellent orchestre exécutant une symphonie de Beethoven ? Aucune assurément. Il n’est point de combinaison matérielle quelque riche et gracieuse qu’on la suppose, qui pût lutter avec l’illusion fantastique résultant de l’audition d’un de ces chefs-d’œuvre.

L’Allemand a donc, pour ainsi dire, des droits exclusifs sur la musique instrumentale ; c’est pour lui une seconde vie, une autre nature. Et c’est peut-être à cette timidité naïve, trait distinctif du caractère national, qu’il faut attribuer chez nous l’immense développement de cette étude. C’est elle qui empêche les Allemands de faire parade de leur savoir ; ils comprennent, avec un tact délicat, que ce serait outrager, renier en quelque sorte cet art révéré, si pur et si sacré à leurs yeux ; que le souffle et le contact de la foule, en corrompraient certainement l’essence. L’Allemand garde donc ses extases musicales pour lui-même, ou il les confie tout au plus à ses familiers les plus intimes ; et alors il s’abandonne sans scrupule à ses émotions, il donne un libre cours aux pleurs que lui arrache la joie ou