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Page:Wagner - Dix Écrits, 1898.djvu/82

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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

Seulement je m’abstins dans l’intervalle de jeter un seul regard sur les partitions de Beethoven, car j’aurais cru commettre une profanation honteuse. Mais hélas ! je ne gagnai rien à avoir sacrifié ainsi mon innocence : l’honnête éditeur me déclara qu’il était indispensable de jeter préalablement les fondements de ma renommée par une ou deux publications gratuites. Je restai pour la seconde fois interdit, et je me retirai, le désespoir dans l’âme. Mais l’excès même du dépit et de la rage me devint propice, car je composai dans cet état plusieurs galops formidables qui me valurent enfin quelques honoraires, et je crus enfin en avoir assez recueilli pour me mettre en route. Deux ans s’étaient écoulés pourtant, et je tremblais sans cesse que Beethoven ne vînt à mourir avant que j’eusse fondé mon crédit sur le mérite de mes galops et de mes pots-pourris. Mais, Dieu soit loué, il avait attendn cette heure mémorable. Ô saint Beethoven ! pardonne-moi cette renommée indigne que je n’ai briguée que pour conquérir le bonheur et la gloire de te connaître.

Quelle fut ma joie en me voyant libre enfin d’accomplir mon projet ! quel fut mon bonheur en faisant mes préparatifs de départ ! Ce fut avec une sainte émotion que je franchis la porte de la ville pour me diriger vers le Sud. J’aurais volontiers pris place dans une diligence, non que je redoutasse la fatigue d’un voyage à pied (quelle épreuve m’eût paru trop pénible pour voir mon