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Page:Wagner - Dix Écrits, 1898.djvu/89

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UNE VISITE À BEETHOVEN

étoile, et dont cet Anglais devait être l’instrument, nous nous trouvâmes encore le soir même face à face à la porte d’une autre hôtellerie, où il semblait s’être arrêté à dessein pour m’attendre ; car je le trouvai assis dans sa voiture, tourné du côté de la route par où je devais arriver. — C’est vous que j’attendais depuis longtemps, me dit-il comme la première fois ; voulez-vous que nous allions ensemble voir Beethoven ? Cette fois ma surprise céda en moi à un sentiment de répulsion instinctif. Cette opiniâtreté à m’obliger malgré moi me paraissait inexpliquable, à moins que l’Anglais ne prît à tâche de vaincre ma résistance, parce qu’elle choquait sa susceptibilité, et pour humilier mon amour-propre. Je repoussai donc sa proposition en laissant percer toute l’humeur qu’elle m’inspirait. Alors il s’écria : — Goddam ! vous estimez donc bien peu Beethoven ! Moi je le verrai bientôt. Et il donna le signal du départ.

Ce fut définitivement la dernière fois que je revis ce singulier voyageur avant d’arriver à Vienne. Enfin j’atteignis la barrière de cette capitale ; j’étais au terme de mon pèlerinage. Je vous laisse à juger quelles furent mes émotions en pénétrant dans la Mecque de mes désirs. J’oubliai soudain tous les soucis, toutes les fatigues de la route ; je foulais le même sol où reposait la demeure de Beethoven !… J’étais trop agité pour songer à la réalisation immédiate de mes vœux les plus chers ; je m’informai seule-