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Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/45

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point aussi subjective, aussi individualiste qu’elle pourrait le sembler ; c’est une expansion de la vie, et de la vie sociale : « c’est la sociabilité s’étendant au cosmos, remontant aux lois suprêmes du monde, descendant à ses derniers éléments, allant des causes aux fins et des fins aux causes, du présent au passé, du passé à l’avenir, du temps et de l’espace à ce qui engendre le temps même et l’espace ; en un mot, c’est l’effort suprême de la vie individuelle pour saisir le secret de la vie universelle et pour s’identifier avec le tout par l’idée même du tout. La science ne saisit qu’un fragment du monde : la métaphysique s’efforce de concevoir le monde même, et elle ne peut le concevoir que comme une société d’êtres, car qui dit univers dit unité, union, lien ; or, le seul lien véritable est celui qui relie par le dedans, non par des rapports extrinsèques de temps et d’espace ; c’est la vie universelle, principe du « monisme », et tout lien qui unit plusieurs vies en une seule est foncièrement social. Le caractère social de la morale est plus manifeste encore. Tandis que la métaphysique, tandis que la religion, cette forme figurée et Imaginative de la métaphysique, s’efforcent de réaliser dans la société humaine, par la communauté des idées directrices de l’intelligence, la liaison intellectuelle des hommes entre eux et avec le tout, la morale réalise l’union des volontés et, par cela même, la convergence des actions vers un même but. C’est ce qu’on peut appeler la synergie sociale… Mais l’union sociale, à laquelle tendent la métaphysique et la morale, n’est pas encore complète : elle n’est qu’une communauté d’idées et de volontés ; il reste à établir la communauté même des sensations et des sentiments ; il faut, pour assurer la synergie sociale, produire la sympathie sociale : c’est le rôle de l’art.

« L’art est social à trois points de vue différents, par son origine, par son but, enfin par son essence même ou sa loi interne. Ces trois thèses sont développées dans L’Art au point de vue sociologique ; mais, comme on l’a très justement remarqué, c’est surtout la dernière qui est essentiellement propre à Guyau. L’art est social non pas seulement parce qu’il a son origine et son but dans la société réelle dont il subit l’action et sur laquelle il réagit, mais parce qu’il « porte en lui-même », parce qu’il « crée une société idéale », où la vie atteint son maximum d’intensité et d’expansion. Il est ainsi une forme supérieure de la sociabilité même et de la sympathie universelle qu’elle enveloppe. « L’art, dit Guyau, est une extension, par le sentiment, de la société à tous les êtres de la nature, et même aux êtres conçus comme dépassant la nature, ou enfin aux êtres fictifs créés par l’imagination humaine. L’émotion artistique est donc essentiellement sociale. Elle a pour résultat