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Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/161

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Justice, le prendraient en flagrant délit. » Il y a dans les choses une fidélité incorruptible à leur place dans l’ordre du monde, fidélité dont l’homme peut présenter l’équivalent seulement une fois parvenu à la perfection, une fois devenu identique à sa propre vocation. La contemplation de la fidélité des choses, soit dans le monde visible lui-même, soit dans les relations mathématiques ou analogues, est un puissant moyen d’y parvenir. Le premier enseignement de cette contemplation est de ne pas choisir, de consentir également à l’existence de tout ce qui existe. Ce consentement universel est la même chose que le détachement, et l’attachement même le plus faible ou bien le plus légitime en apparence y fait obstacle. C’est pourquoi il ne faut jamais oublier que la lumière luit également sur tous les êtres et toutes les choses. Elle est ainsi l’image de la volonté créatrice de Dieu qui supporte également tout ce qui existe. C’est à cette volonté créatrice que notre consentement doit adhérer.

Ce qui permet de contempler la nécessité et de l’aimer, c’est la beauté du monde. Sans la beauté ce ne serait pas possible. Car bien que le consentement soit la fonction propre de la partie surnaturelle de l’âme, il ne peut pas en fait s’opérer sans une certaine complicité de la partie naturelle de l’âme et même du corps. La plénitude de cette complicité, c’est la plénitude de la joie ; l’extrême malheur au contraire rend cette complicité au moins pour un temps tout à fait impossible. Mais même les hommes qui ont le privilège infiniment précieux de participer à la croix du Christ ne pourraient pas y atteindre s’ils n’avaient pas traversé de la joie. Le Christ a connu la perfection de la joie humaine avant d’être précipité tout au fond de la détresse humaine. Et la joie pure n’est pas autre chose que le sentiment de la beauté.