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Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/27

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transcendant signifie simplement la source de l’inspiration véritable). Une œuvre d’art qui s’inspire des phénomènes sensibles ou psychologiques ne peut pas être de tout premier ordre. Cela se vérifie expérimentalement. On ne peut se représenter la création que par la transposition d’une activité humaine ; mais au lieu qu’aujourd’hui nous prenons comme point de départ une activité telle que celle d’un fabricant d’horloges, ce qui entraîne dans des absurdités dès qu’on transpose, Platon choisit une activité qui, quoique humaine, a déjà quelque chose de surnaturel. De plus la légitimité de cette analogie est vérifiable. On ne peut jamais trouver assez de finalité visible dans le monde pour prouver qu’il est analogue à un objet fabriqué en vue d’une fin. Il est même manifeste qu’il n’en est pas ainsi. Mais l’analogie entre le monde et une œuvre d’art a sa vérification expérimentale dans le sentiment même de la beauté du monde, car le beau est la seule source du sentiment de beauté. Cette vérification ne vaut que pour ceux qui ont éprouvé ce sentiment, mais ceux qui ne l’ont jamais éprouvé, et qui sont sans doute très rares, ne peuvent peut-être être amenés à Dieu par aucune voie. En comparant le monde à une œuvre d’art, ce n’est pas seulement l’acte de la création mais la Providence qui se trouve assimilée à l’inspiration artistique. C’est-à-dire que dans le monde comme dans l’œuvre d’art, il y a finalité sans aucune fin représentable. Toutes les fabrications humaines sont des ajustements de moyens en vue de fins déterminées, sauf l’œuvre d’art où il y a ajustement de moyens, où il y a évidemment finalité, mais où on ne peut concevoir aucune fin. En un sens la fin n’est pas autre chose que l’ensemble des moyens employés ; en un sens la fin est tout à fait transcendante. Il en est exactement de même de l’univers et