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Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/57

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l’Amour. L’accord qui se fait par consentement mutuel est juste, selon les lois de la « cité royale ».


Ces lignes sont, peut-être, les plus belles de Platon. C’est là le centre même de toute la pensée grecque, son noyau parfaitement pur et lumineux. La connaissance de la force comme chose absolument souveraine dans la nature tout entière, y compris toute la partie naturelle de l’âme humaine avec toutes les pensées et tous les sentiments qu’elle contient, et en même temps comme chose absolument méprisable, c’est la grandeur propre de la Grèce. Aujourd’hui on voit beaucoup de gens qui honorent par-dessus tout la force, soit qu’ils lui donnent ce nom ou d’autres noms pourvus d’une sonorité plus agréable. On en voit aussi beaucoup, quoique en nombre rapidement décroissant, qui méprisent la force. C’est qu’ils en ignorent les effets et la puissance. Ils se mentent à eux-mêmes au besoin pour ne pas s’instruire là-dessus. Mais qui connaît toute l’étendue de l’empire de la force et en même temps la méprise ? (T. E. Lawrence, le libérateur de l’Arabie, était ainsi, mais il est mort). Peut-être quelques chrétiens très proches de Dieu et de la sainteté. Mais peu vrai semblablement. Pourtant, cette double connaissance est la source la plus pure peut-être de l’amour de Dieu. Car savoir non pas abstraitement, mais avec toute l’âme, que tout dans la nature, y compris la nature psychologique, est soumis à une force aussi brutale, aussi impitoyablement dirigée vers le bas que la pesanteur, une telle connaissance colle pour ainsi dire l’âme à la prière comme un prisonnier, quand il le peut, reste collé à la fenêtre de sa cellule, comme une mouche reste collée au fond d’une bouteille par son élan vers la lumière. Il y a corrélation entre la parole du diable dans l’Évangile :