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Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/85

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Dieu n’est jamais d’aucune manière injuste, il a le suprême degré, de justice, rien ne lui est plus semblable que celui de nous qui serait tout à fait juste… Il y a, ami, dans la réalité, deux modèles, l’un divin et parfaitement bienheureux, l’autre privé de Dieu et tout à fait misérable. Mais ces gens ne voient pas qu’il en est ainsi, et dans leur extrême et stupide folie, ils ne s’aperçoivent pas que leurs actions injustes les rendent semblables au second et dissemblables au premier.


Sur la pitié due à ces fous, et la rareté des véritables justes, il y a quelques lignes dans la République.



République, livre II, 366 c


Si quelqu’un a une connaissance suffisamment certaine que la justice est le plus grand des biens, il sera plein de pardon pour les hommes injustes, il ne s’irritera pas contre eux, il saura que sauf en qui se trouve innée une aversion surnaturelle contre l’injustice, et ceux qui s’en éloignent après avoir reçu la connaissance parmi les autres personnes n’est juste de plein gré, c’est la lâcheté, la vieillesse ou quelque autre faiblesse qui leur fait blâmer l’injustice qu’ils sont hors d’état d’accomplir.


Il y a dans ces lignes comme un écho de la parole « Pardonnez-leur car ils ne savent ce qu’ils font ». Les lignes concernant la ressemblance avec le mauvais modèle rappellent la parole : « Je ne viens pas juger… ils se jugent eux-mêmes. »

Le fragment concernant le juste parfait expose l’idée d’incarnation divine plus clairement qu’aucun texte grec. Car il est dit dans le Phèdre que la justice en soi se trouve dans le lieu, situé, par delà le ciel, où Zeus, accompagné des dieux et des âmes heureuses, prend son repas. On voit dans le Timée que ce qui est dans ce lieu, c’est l’Âme du Monde, le Fils unique. Les hommes justes sont sim-