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Page:Weil - La Connaissance surnaturelle, 1950.djvu/178

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a faim. Alors seulement il revient en lui-même. ἰες ἑαυτὸν ἐλθών.

Cette part, c’est le libre arbitre. Il faut avoir épuisé la volonté dans la recherche des biens apparents d’ici-bas et avoir encore longtemps désiré en vain avant de pouvoir rentrer en soi-même et se souvenir de son Père. Ce sont les prodigues, ceux qui dépensent toute leur énergie à la poursuite de ce qui leur paraît bien, et qui au delà de leur énergie persistent à désirer quoiqu’impuissants, en qui revient le souvenir de la maison de leur Père. Si le fils avait vécu économe, il n’aurait jamais songé à revenir.

« Donne-moi ma portion », c’est le péché originel. Donne-moi le libre arbitre, le choix du bien et du mal.

Ce don du libre arbitre n’est-il pas la création elle-même ?

Ce qui est création du point de vue de Dieu est péché du point de vue de la créature.

Dieu nous a demandé « voulez-vous être créés » et nous avons répondu oui. Il nous le demande encore à tout instant, et à tout instant nous répondons oui. Sauf quelques-uns dont l’âme est divisée en deux ; pendant que presque toute l’âme dit oui, un point de l’âme s’épuise à crier en suppliant : non, non, non ! En criant ce point s’élargit, devient une tache qui un jour envahit toute l’âme.


Habacuc. « Ô toi qui as les yeux trop purs pour voir le mal et qui ne peux regarder l’iniquité… »

Tout contact entre Dieu et l’homme est douleur de part et d’autre. Dieu ne peut regarder le mal et l’homme ne peut regarder le bien. Prométhée et Hippolyte. Leurs supplices se répondent. Dieu qui aime trop l’homme, l’homme qui aime trop Dieu.


Le sacrifice est un don à Dieu, et donner à Dieu, c’est détruire. C’est donc bien qu’on pense que Dieu a abdiqué en créant, et qu’on lui restitue en détruisant.

Le sacrifice de Dieu est la création ; celui de l’homme est la destruction.