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Il ne peut se produire qu’à ces moments où un tel cri occupe toute l’âme qu’on croit qu’il n’y a aucun bien dans tout l’univers pour personne, sinon la satisfaction immédiate du besoin. Alors le consentement à la non-satisfaction est inconditionnel.

Dans d’autres moments, le consentement à l’absence de bien n’est qu’un mouvement de fatigue. Alors le repos est le bien qu’on poursuit sous le prétexte de ce renoncement. Le consentement en ce cas est apparent et conditionnel.

Un tel consentement est à la volonté ce qu’est à l’intelligence la contradiction dans un mystère. Il est absurde.

Il est le consentement à ne pas être.

Consentir à ne pas être, c’est consentir à la privation de tout bien, et ce consentement constitue la possession du bien total. Seulement on ne le sait pas. Si on le sait, le bien disparaît. Orphée perd Eurydice quand il la regarde. Niobé voit ses enfants mourir quand elle en vante le nombre.

Mais quand le besoin végétatif est mis à nu, il n’y a aucun danger qu’on tue le bien en en prenant conscience. L’âme est occupée entièrement par le cri de la privation et de la douleur.

Quand toute l’âme crie « Il faut… ! » sauf un point qui répond « Pourquoi ? » et « Je consens à ce que… ne pas. », à ce moment on porte sa croix. Mais le Christ a dit qu’il faut le faire tous les jours. Comment cela peut-il se faire ? Faut-il se placer dans des circonstances où on souffre à ce point tous les jours ?

Peut-être.

Dans la joie intense et pure, on est également vide de bien, car tout le bien est dans l’objet.

Il y a autant de sacrifice, de renoncement, au fond de la joie qu’au fond de la douleur.


[Sénèque : Simul ista mundi conditor posuit deus — odium atque regnum.]


Les passions — avarice, ambition, dévouement à une personne ou une collectivité, vices — accumulent de