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Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/161

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qui sera conforme à ce que, dans mon imperfection actuelle, je me représente sous ce nom et qui, par suite, n’ira pas au-delà de cette imperfection. Ce sera une modification sur le même plan, non un changement de plan.

La contradiction est le critérium. On ne peut pas se procurer par suggestion des choses incompatibles. La grâce seule le peut. Un être tendre qui devient courageux par suggestion s’endurcit, souvent même il s’ampute lui-même de sa tendresse par une sorte de plaisir sauvage. La grâce seule peut donner du courage en laissant la tendresse intacte ou de la tendresse en laissant le courage intact.

La grande douleur de l’homme, qui commence dès l’enfance et se poursuit jusqu’à la mort, c’est que regarder et manger sont deux opérations différentes. La béatitude éternelle est un état où regarder c’est manger.

Ce qu’on regarde ici-bas n’est pas réel, c’est un décor. Ce qu’on mange est détruit, n’est plus réel.

Le péché a produit en nous cette séparation.

Les vertus naturelles, si on prend le mot vertu au sens authentique, c’est-à-dire en excluant les imitations sociales de la vertu, ne sont possibles, en tant que comportements permanents, qu’à celui qui a en lui la grâce surnaturelle. Leur durée est surnaturelle.

Contraires et contradictoires. Ce que peut le rapport des contraires pour toucher l’être naturel,